lundi 13 juin 2022

Qui a inventé la Fête de la Musique

 

Qui a inventé la fête de la Musique ?

 

Si c'est Jack Lang, alors ministre de la Culture, qui lança la première édition de la fête de la musique en France en 1982, il faut remonter à l'année 1976 pour connaître la véritable histoire de la fête de la musique et même bien au-delà !

Cette année-là, Joël Cohen, un musicien américain qui travaillait pour France Musique, propose des « Saturnales de la Musique » le 21 juin et le 21 décembre - une programmation musicale spéciale diffusée toute la nuit, pour fêter en musique les deux solstices. La première édition a lieu le 21 juin 1976.

Il se trouve qu’à la même époque, le compositeur Maurice Fleuret est aux commandes d’une émission hebdomadaire sur France Musique. Le concept de Joël Cohen aurait-il inspiré le futur Directeur de la Musique et de la Danse de Jack Lang ?

Quelques années plus tard, le 10 juin 1981, la « Fête de la Musique et de la Jeunesse » est organisée pour célébrer l'élection de François Mitterrand, un concert gratuit place de la République à Paris réunit environ 100 000 personnes.

Jack Lang et Maurice Fleuret s'inspirent de cet évènement festif et des « Saturnales de la Musique » de Joël Cohen pour créer la Fête de la Musique dont le titre était initialement « Faites de la musique ! » afin d'inciter les amateurs à se produire en France. Et ça marche ! Le 21 juin 1982, jour de la première Fête de la Musique officielle, les musiciens envahissent les bars, les parcs, les rues pour le plus grand bonheur des citoyens.

Quelle que soit l’origine de la Fête de la musique, à ses débuts, personne ne pouvait imaginer un tel succès populaire.

C'est "une révolution dans le domaine de la musique, qui tend à faire se rencontrer toutes les musiques – sans hiérarchie de genre ni d’origine – dans une commune recherche de ce que Maurice Fleuret appelait « une libération sonore, une ivresse, un vertige qui sont plus authentiques, plus intimes, plus éloquents que l’art », raconte le site officiel de la fête de la musique.

Reprise dans plus de 110 pays à travers le monde, la Fête de la Musique est aujourd'hui célébrée dans plus de 350 villes et 120 pays.

Mais pourquoi la fête de la musique a lieu le 21 juin ?

Jour du solstice d'été, le 21 juin est la nuit la plus courte de l'année dans l'hémisphère nord. Un jour symbolique qui signe le début des beaux jours et un temps qui incite à faire la fête jusqu'à l'aube.

Pourtant il y a un problème pour cette date.  En effet le solstice d’été n’a pas toujours lieu le 21 juin. En 2024 le solstice sera le 20 juin alors que la fête de la Musique étroitement liée à la date du solstice restera le 21 juin.

Le symbolisme qui relie Fête de la Musique et solstice d’été ne sera pas toujours une réalité car la décision de 1982 ne tient pas compte de l’évolution du calendrier. 

Le solstice d’été qui est la date du jour le plus long de l’année dans l’hémisphère nord ne tombe pas toujours le 21 juin. Depuis le calendrier « grégorien » entré en vigueur en 1582, avec quelques nuances selon les pays, il peut intervenir le 19 juin le 20 juin, le 21 et même le 22.

Le solstice d’été sera le 22 juin en 2203, 2207, 2211 et 2215, puis en 2304. En 2488 le solstice sera le 19 juin et ce sera la première fois depuis la mise en place du calendrier « grégorien ». Notez-le, on ne sait jamais !  

On ne peut donc pas vraiment dire que la Fête de la Musique est fixée au solstice d’été. On ne commande pas au temps par une circulaire ou un décret !

D’où ma question : qui est donc le véritable inventeur de la fête de la Musique, bien au-delà de ce que je viens d’écrire.

Si on fait un grand bond en arrière, on trouve une autre origine d’une fête de la musique, celle-là étroitement liée au solstice qui selon les règles du calendrier « Julien » était toujours et invariablement le 24 juin, tout comme celui d’hiver le 24 décembre. D’où la fête de Noël le 25 décembre et le 24 juin la fête de la naissance de Jean-Baptiste, le précurseur, celui qui annonçait la naissance de Jésus.  Ce faisant l’église sublimait des fêtes qui depuis la nuit des temps célébraient le soleil vainqueur des ténèbres avec notamment des feux de joie devenus nos Feux de la Saint Jean.

Cela a été pendant 1582 ans et même avant, alors que la date du solstice, pour rattraper le rythme de la course du soleil est désormais fixé au 21 juin ou à une date proche, et cela seulement depuis 440 ans cette année.

Un chant grégorien (hymne à Saint-Jean-Baptiste écrit par Paul Diacre, né en 730, mort vers 799), possédait une caractéristique intéressante : chaque vers commençait sur une note plus haut que le vers précédent. Or jusqu’à cette époque les notes étaient choisies dans les premières lettres de l’alphabet, ce qui est encore le cas dans certains pays anglo-saxons.

Guy d’Arezzo, un moine bénédictin de cette belle ville entre Toscane et Romagne, qui vivait de 992 à 1033 en recherchant à la fois un système de notation facileet une codification des intervalles musicaux, a imaginé ce qu’on désigne aujourd’hui par le mot de « gamme », en prenant les premières syllabes de cet hymne de la fête de Saint Jean-Baptiste pour baptiser les notes de la gamme.

Voici ce chant, avec la mélodie et la traduction :

Ut queant laxis 

do re fa (remi) re 

 Que tes serviteurs chantent

resonare fibris 

re re do re mi mi 

D’une voix vibrante

Mira gestorum 

(mifasol) mi re (fado) re 

Les admirables gestes

famuli tuorum 

 fa sol la (solla) re re 

De tes actions d’éclat.

Solve polluti 

(sollasol) mi fa sol re 

 Absous des lourdes fautes,

 labii reatum 

 la sol la fa (solla) la 

De leurs langues hésitantes

Sancte Joannes 

(solfa) re do mi re 

[Nous t’en prions,] Saint Jean.

 

 

 

Le Si est en fait venu plus tard. Il vient des initiales SJ du dernier vers (jusque-là, les musiciens se contentaient de six noms de notes, dans un système complexe dit d’hexacordes, permettant par enchaînements successifs de décrire les gammes heptatoniques, mais système aboutissant à des ambiguïtés qui finirent par devenir gênantes). On attribue cette création à Anselme de Flandres.

C’est aussi vers cette époque que Ut est devenu Do, parce que Ut était une syllabe trop difficile à chanter (le choix pourrait venir de la première syllabe du mot Domine, Seigneur ou Dieu en latin).

Cette création se retrouve dans les écrits de Giovanni Maria Bononcini au XVIIe siècle et Pierre l’Arétin, lui aussi natif d’Arezzo parle du « do » en 1536

Certains pays (Allemagne et pays germanophones, Angleterre et pays anglophones) n’utilisent pas cette nouvelle dénomination et ont conservé l’ancien système inspiré de l’Antiquité, qui consistait à nommer les notes par les premières lettres de l’alphabet. Voilà pourquoi le blues et le jazz, musiques d’origine américaine, notent aujourd’hui les harmonies grâce à des lettres :

Cela donne :

Système latin

Système anglophone

Système germanophobe

do

C

C

D

D

mi

E

E

fa

F

F

sol

G

G

la

A

A

si

B

H

 

Ceci est un fait remarquable que connaissent bien les bons amateurs de musique, ou qu’ils se doivent de connaître, avec quelques bémols, dièses et bécarre, apportés récemment en 1988 par MM Chailley et Viret dans La Revue Musicale. Ce serait dommage d’effacer cette jolie histoire ! Pour plus de détails voyez vos encyclopédies, par exemple l’Encyclopédia Universalis à l’article « Gamme ».

Il y a donc bien longtemps que la musique est au cœur du solstice d’été. Nos dirigeants de 1982 savaient-ils ce fait historique ?

Qui donc est le véritable inventeur de la Fête de la Musique ?  Jack Lang mais aussi Joël Cohen et Maurice Fleuret et avant eux Guy d’Arrezo, Giovanni Maria Bononcini, et sans doute d’autres qui tous à leur façon, tous ont contribué à la création de cette si belle fête.

Mon intention est de rappeler ici, que depuis bien longtemps, on fête la musique en ces périodes où l’été prend ses marques, solstice ou pas !


Le 21 juin : faisons de la musique en pensant à tout ce qu’on leur doit !  et renouons avec la belle tradition des Feux de la Saint Jean en restant vigilants et prudents car nous sommes en période de grande sécheresse !

Adissias !

 

Jean Cévenne