mercredi 19 avril 2023

de la Lune Rousse et des Saints de Glace 2023

  


De la Lune rousse et des Saints de Glace 2023



Si l’influence de la lune, telle que j’en ai souvent parlé dans ces chroniques, est très discutée, celle de la Lune Rousse a toujours fait l’unanimité. Les textes les plus anciens en témoignent et chacun continue à y prendre garde. Encore faut-il savoir quand se situe cette fameuse lune.

La Lune Rousse c’est la lune qui commence en avril, après la fête de Pâques, et finit à la lune suivante. Cette année 2023 elle sera entre le 20 avril et le 19 mai. C’est pendant cette période que se situent les Saints de Glace. Ils sont d’autant plus à craindre que leur fête coïncide aux périodes de la lunaison où l’influence de la lune se fait le plus sentir, les nœuds lunaires, la pleine lune, le périgée ou l’apogée. Mais eux, ces braves saints n’y sont pour rien. On parle d’eux comme procédé mnémotechnique, parce que leur fête se situe pendant cette période.

Tous les calendriers lunaires qui reviennent à la mode, nous disent que, quand la Pleine Lune ou la Nouvelle Lune ont lieu au périgée, c'est-à-dire au point de son parcours où son éloignement de la terre est au minimal, il y a danger de perturbations, ce jour-là ou les jours qui suivent. Ces mêmes calendriers disent aussi que le passage de la lune au nœud lunaire, c'est-à-dire au moment où le plan de l’orbite lunaire coupe le plan sur lequel se déplace la terre dans sa marche autour du soleil, est aussi une période de perturbations. A l’appui de leur affirmation, ils disent aujourd’hui, que c’est ce qui s’est passé lors de la trop fameuse tempête de décembre 1999. Mais ils ne l’avaient pas dit avant ! Les dictons sur le temps n’ont-ils pas été écrit eux aussi, après que nos anciens aient observé que des phénomènes atmosphériques se produisaient de façon répétitive chaque fois que la lune se trouvait dans une même configuration. Il était facile de dire que pour la fête de tel ou tel saint, qui était avant tout, une référence de calendrier, il faisait tel ou tel type de temps. Mais cela ne se reproduisait pas nécessairement chaque année, puisque la lune, je l’ai dit souvent ici, ne revient dans la même position autour de la terre et dans l’univers planétaire que tous les 19ans, selon le cycle de Méton, du nom d’un mathématicien grec qui vivait au Vème siècle avant notre ère. On ne peut donc parler de ces dictons sur le temps qu’en étroite référence avec la position de la lune dans le ciel. C’est pourquoi mes chroniques chaque mois et chaque année sont un peu différentes. Comme il convient d’ajouter à cela les observations sur le réchauffement de la planète et d’autres considérations plus savantes, je préfère pour ma part me référer à la lune, c’est plus poétique, et c’est quelquefois vrai pour le temps, et presque toujours vrai pour les plantes… et même pour l’humeur de certaines personnes ! C’est bien connu. La police pourrait attester des problèmes qu’elle enregistre les nuits de pleine lune, et nous connaissons tous des gens « mal lunés ». On pourrait même parler des problèmes enregistrés dans les entreprises à ces périodes… !

La Lune Rousse est plus redoutée que les autres parce qu’elle se situe au moment où le printemps arrive, la sève des plantes monte et nos humeurs aussi. Et elle a de ce fait plus d’influence que d’autres lunaisons. C’est pendant la lunaison de la Lune Rousse que nous allons rencontrer les Saints de Glace. Et leur effet supposé sera d’autant plus grand qu’ils vont ou non coïncider avec les périodes dont je viens de vous entretenir. S’il faut parler d’influence, c’est bien en effet de celle de la lune qu’il faut parler.

Tout ceci s’est vérifié cette année encore, en fin mars et début avril. Le temps de ces jours-ci pourrait bien donner raison au dicton du mois dernier : « Quand mars se déguise en été (souvenez-vous des très beaux jours de la mi-mars), Avril prends ses habits fourrés. » C’est bien ce qui est en train de se passer.

La nouvelle lune c’est demain 20 avril et il y a un nœud lunaire et une éclipse le même jour. Quant à la pleine lune elle sera le 5 mai avec une nouvelle éclipse.  C’est la Lune Rousse. Observons ce qui va se passer en fonction de tous ces éléments.

« Lune rousse, vide bourse » ; « lune rousse, rien ne pousse » ; « Gelée de lune rousse de la vigne ruine la pousse » ; « Récolte n’est point assurée que la lune rousse soit passée ».

Mais pourquoi rousse ? Là encore les calendriers lunaires nous donnent une bonne explication. En cette période de l’année, le soleil déjà haut reste de plus en plus avec nous (+1h30 pour le mois d’avril). Quand le ciel est dégagé, le thermomètre indique 19 ou 20 degrés comme ces derniers jours, voire plus, en plein milieu de la journée. Les petites pousses et les fruits en formation se gorgent de chaleur. Mais la terre met très longtemps à de réchauffer. Quand le soleil se couche, le froid se rétablit. C’est très net ces derniers jours dès 17h/18h. La terre n’a pas encore de chaleur à restituer. Progressivement une rosée recouvre les végétaux. Elle peut devenir glaciale au lever du jour. Le thermomètre indique alors 5° à 0°, voire en dessous. Les jeunes espoirs de récolte sont détruits. Les petites poussent prennent une apparence de roussi. Les embryons de fruits deviennent noirs à l’intérieur de l’ovaire. Ne rangez donc pas les protections de vos plantes et arbres avant la fin de la lune rousse. Elles peuvent toujours être utiles la nuit. Et nos services de météorologie nationale, qui ne regardent pourtant pas la lune, en tous cas qui n’en parlent vraiment pas très souvent, nous préviendront car le satellite le leur aura dit… !

Nous pouvons remarquer dès à présent que les prévisions pour les prochains jours ne sont pas très bonnes.

Ce n’est donc pas à cause de sa couleur qu’on appelle la lune « rousse ». C’est d’ailleurs souvent en avril une lune pâle et blême. C’est bien à cause des effets qu’elle produit sur les plantes qu’elle est « rousse ». Et de grâce, n’appelez pas :« lune rousse » les belles lunes de couleur rousse que vous voyez se lever par certains beaux soir d’été. Cela n’a rien à voir.

Voici à propos de la lune rousse une anecdote amusante et une explication complémentaire.

« Je suis charmé de vous voir réunis autour de moi, disait un jour Louis XVIII à une députation du Bureau des Longitudes qui étaient allés lui présenter la « Connaissance des temps et de l’annuaire », car vous allez m’expliquer nettement ce que c’est que la lune rousse et son mode d’action sur les récoltes »

Le savant Laplace, à qui s’adressait plus particulièrement ces paroles, resta comme atterré ; lui qui avait tout écrit sur la lune, n’avait en effet jamais songé à la lune rousse. Il consultait ses voisins du regard mais, ne voyant personne disposé à prendre la parole, il se détermina à répondre lui-même : « Sire, la lune rousse n’occupe aucune place dans les théories astronomiques ; nous ne sommes donc pas en mesure de satisfaire la curiosité de Votre Majesté. »

Le soir, dans les salons du palais, pendant son jeu, le Roi s’égaya beaucoup de l’embarras dans lequel il avait mis les membres de son Bureau des Longitudes. Laplace l’apprit et vint demander à Arago s’il pouvait l’éclairer sur cette fameuse lune rousse qui avait été le sujet d’un si désagréable contretemps. Arago alla aux informations auprès des jardiniers du Jardin des Plantes et d’autres cultivateurs, et voici le résultat des investigations que le grand savant a ensuite rédigées et qui ont été publiées par Flammarion dans l’ouvrage : « Astronomie populaire » :

« Dans les nuits des mois d’avril et mai, la température de l’atmosphère n’est souvent que de 4, de 5 ou de 6 degrés centigrades au-dessus de zéro. Quand cela arrive, la température des plantes exposées à la lumière de la lune, c'est-à-dire à un ciel serein, peut descendre au-dessous de zéro, nonobstant l’indication du thermomètre. Si la lune, au contraire, ne brille pas, si le ciel est couvert, la température des plantes ne descend pas au-dessous de celle de l’atmosphère, il n’y aura pas de gelée, à moins que le thermomètre n’ait marqué zéro, pour d’autres raisons. Il est donc vrai, comme les jardiniers le prétendent, qu’avec des circonstances thermométriques toutes pareilles, une plante pourra être gelée ou ne l’être pas, suivant que la lune sera visible ou cachée par des nuages ; si les jardiniers se trompent, c’est seulement dans les conclusions : c’est en attribuant l’effet à la lumière de l’astre. La lumière lunaire n’est ici que l’indice d’une atmosphère sereine ; c’est par suite de la pureté du ciel que la congélation nocturne des plantes s’opère ; la lune n’y contribue aucunement ; qu’elle soit couchée ou sur l’horizon, le phénomène a également lieu. L’observation des jardiniers était incomplète, c’est à tort qu’on la supposait fausse. »

Les savants viennent ici au secours de la sagesse populaire qui avait fait les mêmes observations depuis belle lurette ! et aussi des poètes.

Il y a fort à parier que la référence à cette couleur fait allusion aussi au caractère maléfique (supposé !) de notre amie céleste, pourtant si « douce au miséreux et aux amoureux » comme le dit si joliment la fameuse « complainte de la Butte ». Car les rousses, disait-on au temps jadis, portaient sur la tête rien de moins que les flammes de l’enfer. Elles étaient suspectes de sorcellerie, redoutées sur les bateaux, accusées de faire tourner le lait et de rancir le beurre. Dès lors rien d’étonnant à ce qu’une rousse, toute planète qu’elle soit, fasse tourner le printemps, « rire jaune » le jardinier, et jette la désolation au potager !

Cette lune rousse d’avril est plutôt souvent une lune pâle, comme je vous l’ai déjà dit, de cette pâleur qui « caresse l’opale de tes yeux blasés ». Cette lune blême qui « jette un diadème » sur les cheveux roux de la "petite mendigote" de la rue Saint Vincent, a-t-elle donc vraiment une responsabilité personnelle dans les ravages infligés aux végétaux qui vident la bourse des paysans ! Le monde agricole qui vise la priorité de sa production aux premiers fruits et légumes de toutes sortes, semble commencer à comprendre qu’il ne faut pas tailler trop tôt car plus on taille tôt plus les bourgeons vont sortir et éclore tôt et plus on sera dans ces périodes dont il faut se méfier. Et les réchauds, bougies et autres fumigènes coûtent cher et ne compensent pas suffisamment le manque de chaleur de la nuit. Alors on crie à la calamité agricole.

Et nous, consommateurs achetons des fruits de saison et pas des fraises à Noël !

Est-elle vraiment responsable cette lune qui inspire une si belle complainte et qui nous donnera encore ce 20 avril, jour de Nouvelle Lune, le beau spectacle de son rendez-vous avec le soleil puisque rendez-vous (éclipse) il y a bien. Il y a éclipse chaque fois que la Nouvelle Lune ou la Pleine Lune a lieu au nœud lunaire. Las ! cette éclipse ne sera pas visible chez nous. L’auteur des paroles de la complainte de la butte avait bien observé le temps : « Mais voilà qu'il flotte, La lune se trotte, La princesse aussi. Sous le ciel sans lune, Je pleure à la brune, Mon rêve évanoui ! » .

C’est pendant cette période qu’on rencontre les célèbres Saints de Glace !

Avec Saint Georges le 23 avril, on aborde la période où ils vont sévir. La fête de ce saint est accompagnée d’une kyrielle de proverbes et de dictons sur la pluie. « Pluie de saint Georges, coupe les cerises à la gorge ! » ou encore : « S’il pleut à la saint Georges, de cent cerises restent quatorze. » Et aussi : « S’il pleut à la saint Georgeau, n’y aura guignes ni bigarreaux »

De toutes les façons, qu'il pleuve ou qu'il vente, pour la saint Georges il faut mettre la "graine" c'est à dire les œufs de ver à soie, que l’on appelle « les borgnes » car ils n’ont pas d’yeux, dans les couveuses, et non plus comme autrefois dans un petit sac pendu sous les jupons des dames ou encore dans leur soutien-gorge… petit sac qu’on glissait la nuit sous l’édredon du lit conjugal. Un vieux proverbe occitan, bien connu en Cévennes, nous dit que pour la saint Marc ce sera trop tard. Les plus anciens connaissent bien cela, et particulièrement à Uzès, pays d’élevage des vers à soie, des magnaneries et des filatures, et où les habitants sont appelés « débassaïres », « faiseurs de bas », surnom justifié par le nombre des filatures présentes sur la ville ! On imagine combien les gelées tardives étaient dramatiques pour les « éleveurs de ver à soie » quand la feuille des mûriers, toute jeune et frêle subissait les assauts du gel. (Il faut remarquer au passage, que dans le vocabulaire local, on parle plus souvent de « la » feuille et non des feuilles…)

Le 25 avril c’est la Saint Marc : s’il pleut le jour de la saint Marc, les guignes couvriront le parc ; ou encore : A la saint Marc s’il tombe de l’eau, il n’y aura pas de fruits à couteau. C’est à dire de fruits dont on enlève la peau avec un couteau pour les manger… « Marquet (Marc), Georget (Georges), et Philippet (Philippe), sont trois casseurs de Gobelets ». Saint Philippe était autrefois fêté le 1er mai. Pourquoi casseurs de gobelets ? Parce que le froid ou la grêle ces jours–là est néfaste pour la vigne, donc au vin, donc aux pichets et aux gobelets. On dit encore :« Trois saints dont faut se méfier… » Saint Robert le 29 avril : « Gelée de saint Georges, saint Marc, saint Robert, récolte à l’envers. » On dit aussi : « La pluie de saint Robert, du bon vin emplira ton verre. » Selon les régions, les lieux ou les années, l’eau est attendue, comme cette année, et ce vieux dicton démontre que la période que nous vivons s’est déjà produite. Si donc il pleut ce jour-là, tout ne sera pas négatif…Par contre s’il pleut ensuite pour les saints suivants ce sera différent. Le 30 avril pour Saint Eutrope (ou Tropet) : « saint Eutrope mouillé, Cerises estropiées. »

Du 23 avril au 6 mai, ces saints sont aussi appelés « les saints cavaliers » ou « les saints chevaliers » ou encore, selon Rabelais : « les saints gresleurs et gasteurs de bourgeons ».

Les Saints de Glace ne seraient, selon certaines interprétations, que les suivants, dont la liste se déroule jusqu’au 11 mai, soit pour les derniers jours de la lune rousse, et en particulier, ceux dont on parle le plus : « Mamert, Servais et Pancrace, voilà les trois saints de glace. »

Il faut encore dire, pour être le plus complet possible sur ce sujet, que c’est pendant cette période de Lune Rousse que ce situent les Rogations. On appelle ainsi ces prières et processions qui avaient comme objectif de demander à Dieu de bénir la terre et ses fruits, instaurées par Mamert, Évêque de Vienne (420-477), à la suite d’une période de misère dans le Dauphiné, période sans doute consécutive à un gel tel celui d’une Lune Rousse et tel que cela s’est produit plusieurs fois comme en 1897 puis en 2003. On appelle aussi ces processions « litanies mineures », les « litanies majeures » ayant lieu elles, pour la Saint Marc et pour des raisons semblables.

En 1897, entre le 11 et le 13 mai, il avait gelé, et les dégâts avaient été d’autant plus importants que l’hiver avait été bénin, et que la végétation était bien avancée ! Le Cher avait été dévasté. Les vignes avaient gelé, ainsi que les pommes de terre, les haricots et les fraisiers. A Angers, la gelée avait ravagé les cultures au sud de la Loire mais épargné celles qui se situaient au Nord du fleuve ! Dans notre région du Gard les feuilles de mûriers avaient gelé et avaient fait défaut pour nourrir les vers à soie…On conserve dans les familles de nombreuses lettres qui parlent de cela. Ce fut une catastrophe, car il faut non seulement des feuilles de mûriers pour nourrir les vers à soie mais aussi de la chaleur !

Il était donc naturel de célébrer Mamert en ces périodes de risques pour les cultures. « Méfiez-vous de saint Mamert, De saint Pancrace et de saint Servais, car ils amènent un temps frais, Et vous auriez regret amer. »

Rien de bien nouveau quand on voit ici ou là comme à Perpignan récemment, l’Église Catholique, organiser des processions et des prières pour invoquer tel ou tel saint local et appeler la venue de la pluie.

Pour poursuivre sur le sujet Lune Rousse et Saint de Glace ; il faut noter que les Rogations avaient lieu les trois jours avant la fête de l’Ascension, qui est cette année le 18 mai, donc encore dans cette trop fameuse lunaison.

On trouve en effet encore d’autres Saints de Glace après ces dates car la lunaison peut être totalement décalée par rapport à notre calendrier qui est sur une base solaire avec des mois plus long que les mois lunaires.

C’est pourquoi il faut encore ajouter à la liste, le 14 mai, Saint Boniface : « au jour de la saint Boniface, toute boue s’efface. » Puis la sainte Denise le 15 mai : « A la sainte Denise, le froid n’en fait plus à sa guise. »

Et pour l’Ascension, le 18 mai cette année : « A l’Ascension, dernier frisson. »

C’est alors vraiment qu’on pourra affirmer, après le dicton qui nous incite à la prudence vestimentaire en avril : « En mai fait ce qu’il te plait, en provençal : oou mes de maï faï ce que ti plaï ». On dit aussi : « qui s’alaoujo avant lou mes de maï, segur nuon soou ce que faï ! » En réalité, tout ceci c’est parce que la lunaison dite « lune rousse » se terminera le 19 mai. Nous ne serons vraiment tranquilles qu’après le 25 mai, car : « le vigneron n’est pas assuré que la saint Urbain ne soit passée... » 

 

A Diou sias !   

 

Jean Mignot

en la veille de la Lune Rousse de 2023.                                                                                                                  

 

 

 

mardi 4 avril 2023

Histoires de cloches

 

Histoires de cloches

Les cloches vont carillonner ce jeudi 6 avril, Jeudi Saint, aux clochers de nos églises, puis se taire par signe de deuil, célébrant la mort du Christ en croix puis sa résurrection au matin de Pâques dans la clarté du Printemps et du soleil levant. Signe d’Espoir et d’une vie nouvelle. Non elles ne sont pas parties à Rome et ce ne sont pas elles qui vont nous ramener les œufs de Pâques que nos enfants vont aller chercher dans les jardins, n’en déplaise à certaines traditions dont on a oublié les fondements. Cette tradition des « œufs de Pâques » est étroitement liée au Carême, période pendant laquelle - régime végan avant l’heure - on ne consommait pas d’œufs. D’où l’utilisation importante des desserts à base d’œufs juste avant cette période le mardi-gras, puis les œufs de Pâques, après le jeûne, notamment le « lundi de l’omelette », « lundi de Pâques ».

Voici un extrait du texte d’Eric Sutter sur cette histoire des cloches au moment de Pâques. « Au VIIIe siècle, dit Arnold Van Gennep dans son ouvrage de référence « Le Folklore français », on cesse de sonner les cloches (ainsi que les clochettes d'autel), afin de commémorer dans le recueillement cet événement fondateur de la religion chrétienne, la mort et la résurrection de Jésus. (La règle demeure imprécise dans les coutumes monastiques du IXe siècle. C'est à la fin de ce siècle que le codex rédigé au Mont Cassin fixe l'interruption, avec remplacement des cloches de métal par des instruments de bois, des complies du Mercredi Saint à la messe tardive du Samedi Saint. Le début de l'interruption varia selon les régions chrétiennes et selon les monastères. L'uniformité de la coutume ne commença de s'établir que vers la fin du XIIe siècle. (D’autres sources indiquent l'interdiction de sonner les cloches date seulement du Concile de Trente, en 1542)

L'apôtre Mathieu écrit qu'au moment où Jésus mourut, il se produisit des phénomènes terrifiants. C'est pour rappeler cet événement que le son des cloches a été remplacé, pendant de nombreuses années, par le bruit des « instruments des ténèbres » (claquoirs, crécelles, martelets...). Aux offices, dès le Jeudi Saint, la crécelle ou le claquoir remplace la sonnette d'autel. Pour annoncer les différents moments de la journée, l'angélus, les offices religieux, les crécelleurs (le plus souvent les enfants de chœur) passent dans toutes les rues du village en faisant tourner leurs crécelles et crient : « C'est l'angélus... » ; chaque appel est ponctué d’un tour de crécelle. Quand les cloches reprenaient du service lors de la nuit pascale, les crécelleurs cessaient le leur ! Ils faisaient ensuite le tour du village, allant de porte en porte pour quêter œufs, frais ou en sucre, ou des pièces de monnaie.

Pour être certain que la règle d'interruption de sonner les cloches soit respectée, il était courant que le curé demande au sonneur de relever les cordes dans le clocher ! »

Dans mon village cévenol, on envoyait les enfants de chœur aux sorties du village en direction des hameaux dispersés dans la vallée pour qu’ils actionnent ces crécelles annonçant les heures des cérémonies. C’était toujours pour les enfants un grand sujet d’amusement ! On se disputait pour savoir qui sonnerait les clochettes, puis pour savoir qui serait désigné pour actionner la planchette de bois, la crécelle ou le claquoir pendant le reste de la cérémonie du Jeudi-Saint après le Gloria de la messe et le silence imposé aux cloches.

« Selon Van Gennep, les succédanés en bois des cloches employées en France pendant la période de Ténèbres peuvent se répartir en sept types :

le martelet : planchette munie d'un manche sur laquelle vient frapper alternativement d'un côté et de l'autre un petit maillet ;

la crécelle : roue dentée montée sur un manche et sur laquelle vient frapper une lamelle en bois flexible ; c'est un moulinet de caractère rotatif ;

le batelet : combinaison des deux précédents, dit aussi écalette ;

le claquoir : planchette sur laquelle est fixée une poignée qui frappe alternativement à droite et à gauche, grâce à un léger mouvement de la main ;

le livre : formé de deux planchettes reliées au sommet et qu'on fait frapper l'une contre l'autre ( j’en possède un à la maison ! ) ; c'est le principe des castagnettes ;

la matraca : planchette munie d'un manche contre laquelle viennent frapper deux autres planchettes sur charnière (usitée surtout en Espagne) ;

un instrument constitué par de nombreuses planchettes trouées maintenues par une ficelle ou un fil de fer...

A noter que certains types de crécelles fixes peuvent mesurer plusieurs mètres de long ! Van Gennep consacre de nombreuses pages de son ouvrage à l'usage de ces instruments dans les différentes régions françaises. Nous n'entrerons pas dans le détail ici.

« La coutume de faire sonner les cloches à Pâques est ancienne et liée au souhait très humain de faire du bruit, lorsque c'est la fête, particulièrement la fête du printemps. La sonnerie des cloches annonce « l'accouchement printanier » de la nature. (Dans la Rome classique, la superstition voulait qu'on fasse tinter une cloche près d'une femme en train d'accoucher pour écarter les mauvais esprits et favoriser une naissance faste.)

L'Eglise « récupère » les fêtes de printemps païennes, comme les autres fêtes, pour marquer le rythme liturgique. Ce n'est que dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques que les cloches carillonnent pour annoncer la joie de la résurrection du Christ. La cloche est un des symboles forts de cette fête chrétienne.

Pâques marque aussi la fin du Carême. Autrefois, les œufs étaient engrangés pendant cette période et souvent conservés dans l'eau de chaux ou d'autres manières. On les ressort pour les festivités.

C'est ainsi qu'est née la légende. »

« Pour expliquer l'absence de sonnerie pendant cette période, on a dit longtemps aux enfants que les cloches partaient à Rome. Mais pour des raisons aussi diverses que nos régions : pour aller chercher leurs œufs bien sûr, mais aussi pour déjeuner avec le Pape dit-on en Lorraine mosellane, pour se faire bénir affirment les habitants de la Bresse, pour se confesser assure-t-on dans l'Isère, ou même pour aller y manger de la tomme (fromage) trouve-t-on dans certains contes... Pour le voyage, les cloches se munissent d'une paire d'ailes, de rubans ou (parfois) sont transportées sur un char.

Des superstitions restées vivaces dans les campagnes avant le VIIe siècle, poussent les agriculteurs à voir dans le ciel des cloches « brillantes et rougeoyantes ». De nombreux paysans affirment en avoir vu filer au-dessus de leurs champs en faisant entendre un bourdonnement. En 587, Grégoire de Tours notait :  « Nous vîmes pendant deux nuits de suite, au milieu du ciel, une espèce de nuage fort lumineux qui avait la forme d'un capuchon. »

On a dit longtemps aux enfants qu'elles revenaient chargées de friandises et, en battant à toute volée, qu'elles les déversaient dans les jardins et les prés, sur les balcons des appartements. Le folklore varie selon les régions. Une promenade des enfants est organisée hors du village pour guetter leur passage et la chute des œufs. Mais leur vol est si rapide que personne ne les aperçoit. D'ailleurs, elles ne se montrent qu'aux enfants qui ont été très sages. Combien d'enfants regardèrent dans le ciel et ne virent jamais ces fameuses cloches de Rome ! Une mystérieuse chasse aux trésors s'organise néanmoins au petit matin de Pâques et fait la joie des petits et des grands.

Si dans tous les pays de culture chrétienne on trouve la tradition des œufs de Pâques, ils ne sont pas apportés aux enfants de la même manière... Le rôle de la cloche dans le transport des œufs se rencontre essentiellement en France ou en Italie. Au Tyrol, il s'agit d'une poule ; en Suisse, d'un coucou et dans les pays anglo-saxons un lièvre. Le lièvre — ou le lapin — symbolise l'abondance, la prolifération et le renouveau. C'est en Allemagne et en Alsace, vers le XVe siècle, qu'on associa pour la première fois le lapin (blanc) de Pâques avec les œufs de Pâques pour célébrer le printemps. »

Cette légende est une source d'inspiration pour les illustrateurs ou dessinateurs.

L'illustration ancienne la plus connue évoquant le voyage des cloches est probablement la gravure de Grandville (1803-1847) intitulée Le Voyage des cloches à Rome. Cet illustrateur, né à Nancy, de son vrai nom Jean Gérard, monta à Paris à l'âge de 23 ans. Il se rendit célèbre peu de temps après avec ses caricatures d'hommes à têtes d'animaux. Entre 1835 et 1847, il fournira des centaines de dessins aux éditeurs.

Une autre illustration connue est celle qui a fait la couverture du supplément illustré hebdomadaire au quotidien Le Petit Journal du dimanche 2 avril 1899, n°437, et qui représente deux anges ailés transportant une cloche dans le ciel, avec au lointain un village et la silhouette de la basilique Saint-Pierre de Rome (légende : « Pâques. Le retour des cloches ») ; dessin signé du célèbre illustrateur et graveur parisien Fortuné Méaulle (1844-1901).

Quelques cartes postales du début du XXe s. évoquent également ce voyage à Rome dans les airs, avec la représentation de cloches généralement ailées (figures de H. Manuel, notamment). Les cartes illustrées modernes se limitent à associer des cloches très stylisées à des œufs colorés. Globalement, sur l'ensemble des cartes postales ou cartes illustrées éditées à l'occasion des fêtes de Pâques depuis un siècle, les cloches sont beaucoup moins fréquemment représentées que les œufs.

On retrouve le thème graphique de la cloche, avec celui des œufs, sur les emballages des confiseries vendues au moment de Pâques.

A Rome, envolez-vous, divines messagères,

Au Saint-Père affirmez notre constante foi

L'Homme méchant, en vain, sous une injuste loi

Veut incliner nos fronts, proscrire nos prières.

 O cloches, au retour, ramenez l'espérance

Aux fidèles chrétiens vaillants dans la souffrance

                                                                              (Anonyme, sur une image pieuse éditée vers 1900)

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Il n’y a pas de cloches que pour Pâques même si ce dimanche 9 avril on va encore entendre les cloches à grande volée. Bonne occasion de dire quelque chose sur les sonneries des cloches dont on a oublié le côté pratique. Leur sonnerie n’est en effet pas limitée aux seules cérémonies religieuses. De tous temps les sonneries des cloches ont rythmé notre vie et rythment encore de grands moments de notre existence.

Il y a tant à dire sur les cloches et sur leurs différentes sonneries qui rythment les vies de nos villes et de nos campagnes ! (au moins 61 800 références quand on fournit les mots clés « Cloche, Pâques, Rome » au moteur de recherche Google !)

Si vous avez du temps lisez sur internet l’excellent article d’Eric Sutter, Président de la Fédération des Fondeurs de cloches publié en 2006 : « Code et langage des sonneries de cloches en occident » sur http://campanologie.free.fr/

Comme aux heures sombres de notre histoire, à la déclaration de guerre en août 1914, les cloches de nos églises ont sonné pour commémorer ce moment en sonnant à nouveau en août 2014.

(Ecoutez le tocsin puis le plenum le 1er Aôut 2014 à la Cathédrale Saint Pierre de Montpellier : https://www.youtube.com/watch?v=A-8sV9DnECg)

A la Libération en août 1944 les cloches de toutes les églises ont sonné.

Après les attentats de 2016, les cloches de toutes nos églises de France ont sonné.

En avril 2019 elles ont sonné en  signe de soutien au terrible drame qui a frappé la Cathédrale Notre Dame de Paris. (cloches de la Cathédrale  d’Uzès  https://www.youtube.com/watch?v=3lB81hsYmCg

Le 25 mars en 2021 elles ont sonné pour signifier au peuple de France que ce que nous vivons avec la pandémie était un évènement particulièrement grave.

Appel à la prière, appel à la méditation, appel au recueillement.

Nos cloches continueront de sonner, pour annoncer les cérémonies religieuses ou pour un évènement particulièrement grave qui marque notre quotidien ou les grands moments de notre histoire.  

Bien plus qu’un appel à une cérémonie religieuse, les cloches continuent de sonner aux beffrois de nos villes du Nord, à nos campaniles du Midi, ou à nos tours de l’Horloge, pour rythmer le temps qui passe !

Sans parler du tocsin et du couvre-feu, désormais revenu d’actualité et annoncé par les sirènes.

Au cours des siècles ces sonneries de cloches ont pris de telles dimensions qu’elles sont souvent à l’origine du nom d’une cloche ou d’une sonnerie.

Sonnerie de l’Angélus bien sûr qui rythme la vie des paysans dans nos campagnes, mais aussi sonnerie horaire, sonnerie du « couvre-feu » appelée parfois « Salve », « tocsin », sonnerie pour l’abandon d'un enfant.

« Glas » (annonce d'un décès) sur une façon de sonner qui permet de savoir si on enterre un homme ou une femme.

En dehors de nos églises il y a bien d’autres sonneries de cloches : « Cloche de la Bourse » et du palais Brogniard, « cloche du Marché », ou cloche des Halles à Paris, « La poissarde » à Beauvais ; « Messglocke » à Colmar ; ; « cloche du Tribunal » ; cloche du président de séance d’une assemblée ; cloche des marins, « cloche de quart », « cloche de brume ».

« Zenergloke » à Strasbourg ou « cloche des Juifs » ;  « Bürgerglocke » à Neuwiller lès Saverne ;

« Noguette » à Saint Malo et à Dinan ; « S’Lumpaglocke » à Ribeauvillé et aussi « Ratsglocke » et « Brennglocke ;« la Cloc'h An Comun » à Quimper.

« Cloche des écoles » annonçant la récréation ; « Cloche des usines » annonçant l’heure de prise ou de fin du travail.  

Carillon de nos beffrois du Nord ; sonnerie du « Ratire-coquin » à Saint Lô. « Nadalet » des carillons du Midi ;  « aubette » ; « cloche des sacristies » et « cloche de Chœur » de nos églises ; et tant d’autres !

Cloche de ND de Bonheur sur l’Aigoual qui avait la vocation de permettre aux voyageurs perdus dans le brouillard de retrouver son chemin.

Et quand la nature reprend le dessus ! Quand l’orage détruit les installations électriques et quand l’eau des torrents gardois détruits les systèmes d’alerte d’inondation, on fait quoi ? Mr le Maire d’Aramon en septembre 2002, l’électricité ne permettant de faire fonctionner les systèmes d’alarme, n’a eu comme seule ressource que de demander au père Curé d’aller sonner le tocsin à l’église. Mais on fait comment sans électricité ? et sans corde ? pour sonner une cloche… et qui sait comment sonner le tocsin ? (sonnerie à coups pressés et redoublés au rythme de 90 à 120 coups par minute à l’aide du battant tiré par une corde ou d’un martelet)

Autant d’évocations qui pourraient faire l’objet d’une chronique encore plus détaillée notamment pour répondre à tous ceux qui s’insurgent contre le chant matinal des coqs et  sur les sonneries des cloches ! sans d’ailleurs se poser la question des sonneries intempestives à tous moments de la journée de nos téléphones portables !

Vous comprendrez donc aisément que je préfère pour conclure cet article, citer ce si beau chant de l’Angélus de la mer, plutôt que « Maudit sois-tu carillonneur » !

 Voici l’heure où là-bas le vieux clocher s’éveille

Et chante au matin clair !....

Entendez-vous ? Dans la brise qui jase

Tinte l'écho des cloches du pays,

Les flots joyeux que la lumière embrase

Ondulent plus blonds que les blonds épis...

Au loin c’est l’Angélus.. !

 Chanson « L’angelus de la mer » d’ André Baugé, interprétée notamment par Armand Mestral

Bonnes Pâques. Rendez vous pour la chasse aux œufs. Gardez-vous bien en bonne santé ! Soyez à Dieu ! Addissias !

Jean Mignot le 4 avril 2023

 


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