De la Lune rousse et des Saints de Glace 2023
Si l’influence de la lune, telle que j’en
ai souvent parlé dans ces chroniques, est très discutée, celle de la Lune Rousse
a toujours fait l’unanimité. Les textes les plus anciens en témoignent et
chacun continue à y prendre garde. Encore faut-il savoir quand se situe cette
fameuse lune.
La Lune Rousse c’est la lune qui
commence en avril, après la fête de Pâques, et finit à la lune suivante.
Cette année 2023 elle sera entre le 20 avril et le 19 mai. C’est pendant cette
période que se situent les Saints de Glace. Ils sont d’autant plus
à craindre que leur fête coïncide aux périodes de la lunaison où l’influence de
la lune se fait le plus sentir, les nœuds lunaires, la pleine lune, le périgée
ou l’apogée. Mais eux, ces braves saints n’y sont pour rien. On parle d’eux
comme procédé mnémotechnique, parce que leur fête se situe pendant cette
période.
Tous les calendriers lunaires qui
reviennent à la mode, nous disent que, quand la Pleine Lune ou la Nouvelle
Lune ont lieu au périgée, c'est-à-dire au point de son parcours où son
éloignement de la terre est au minimal, il y a danger de perturbations, ce
jour-là ou les jours qui suivent. Ces mêmes calendriers disent aussi que le
passage de la lune au nœud lunaire, c'est-à-dire au moment où le plan de
l’orbite lunaire coupe le plan sur lequel se déplace la terre dans sa marche
autour du soleil, est aussi une période de perturbations. A l’appui de leur
affirmation, ils disent aujourd’hui, que c’est ce qui s’est passé lors de la
trop fameuse tempête de décembre 1999. Mais ils ne l’avaient pas dit
avant ! Les dictons sur le temps n’ont-ils pas été écrit eux aussi, après
que nos anciens aient observé que des phénomènes atmosphériques se produisaient
de façon répétitive chaque fois que la lune se trouvait dans une même configuration.
Il était facile de dire que pour la fête de tel ou tel saint, qui était avant
tout, une référence de calendrier, il faisait tel ou tel type de temps. Mais
cela ne se reproduisait pas nécessairement chaque année, puisque la lune, je
l’ai dit souvent ici, ne revient dans la même position autour de la terre et
dans l’univers planétaire que tous les 19ans, selon le cycle de Méton, du nom
d’un mathématicien grec qui vivait au Vème siècle avant notre ère. On ne peut
donc parler de ces dictons sur le temps qu’en étroite référence avec la
position de la lune dans le ciel. C’est pourquoi mes chroniques chaque mois et
chaque année sont un peu différentes. Comme il convient d’ajouter à cela les
observations sur le réchauffement de la planète et d’autres considérations plus
savantes, je préfère pour ma part me référer à la lune, c’est plus poétique, et
c’est quelquefois vrai pour le temps, et presque toujours vrai pour les
plantes… et même pour l’humeur de certaines personnes ! C’est bien connu.
La police pourrait attester des problèmes qu’elle enregistre les nuits de
pleine lune, et nous connaissons tous des gens « mal lunés ».
On pourrait même parler des problèmes enregistrés dans les entreprises à ces
périodes… !
La Lune Rousse est plus redoutée
que les autres parce qu’elle se situe au moment où le printemps arrive, la sève
des plantes monte et nos humeurs aussi. Et elle a de ce fait plus d’influence
que d’autres lunaisons. C’est pendant la lunaison de la Lune Rousse que nous
allons rencontrer les Saints de Glace. Et leur effet supposé sera
d’autant plus grand qu’ils vont ou non coïncider avec les périodes dont je
viens de vous entretenir. S’il faut parler d’influence, c’est bien en effet de
celle de la lune qu’il faut parler.
Tout ceci s’est vérifié cette année
encore, en fin mars et début avril. Le temps de ces jours-ci pourrait bien
donner raison au dicton du mois dernier : « Quand mars se déguise
en été (souvenez-vous des très beaux jours de la mi-mars), Avril prends ses
habits fourrés. » C’est bien ce qui est en train de se passer.
La nouvelle lune c’est demain 20 avril et
il y a un nœud lunaire et une éclipse le même jour. Quant à la pleine lune elle
sera le 5 mai avec une nouvelle éclipse.
C’est la Lune Rousse. Observons ce qui va se passer en
fonction de tous ces éléments.
« Lune
rousse, vide bourse » ; « lune rousse, rien ne
pousse » ; « Gelée de lune rousse de la vigne ruine la
pousse » ; « Récolte n’est point assurée que la lune rousse soit
passée ».
Mais pourquoi rousse ? Là encore les
calendriers lunaires nous donnent une bonne explication. En cette période de
l’année, le soleil déjà haut reste de plus en plus avec nous (+1h30 pour le
mois d’avril). Quand le ciel est dégagé, le thermomètre indique 19 ou 20 degrés
comme ces derniers jours, voire plus, en plein milieu de la journée. Les
petites pousses et les fruits en formation se gorgent de chaleur. Mais la terre
met très longtemps à de réchauffer. Quand le soleil se couche, le froid se
rétablit. C’est très net ces derniers jours dès 17h/18h. La terre n’a pas
encore de chaleur à restituer. Progressivement une rosée recouvre les végétaux.
Elle peut devenir glaciale au lever du jour. Le thermomètre indique alors 5° à
0°, voire en dessous. Les jeunes espoirs de récolte sont détruits. Les petites
poussent prennent une apparence de roussi. Les embryons de fruits deviennent
noirs à l’intérieur de l’ovaire. Ne rangez donc pas les protections de vos
plantes et arbres avant la fin de la lune rousse. Elles peuvent toujours être
utiles la nuit. Et nos services de météorologie nationale, qui ne regardent
pourtant pas la lune, en tous cas qui n’en parlent vraiment pas très souvent, nous
préviendront car le satellite le leur aura dit… !
Nous pouvons remarquer dès à présent que
les prévisions pour les prochains jours ne sont pas très bonnes.
Ce n’est donc pas à cause de sa couleur
qu’on appelle la lune « rousse ». C’est d’ailleurs souvent en avril
une lune pâle et blême. C’est bien à cause des effets qu’elle produit sur les
plantes qu’elle est « rousse ». Et de grâce, n’appelez
pas :« lune rousse » les belles lunes de couleur rousse que vous
voyez se lever par certains beaux soir d’été. Cela n’a rien à voir.
Voici à propos de la lune rousse une
anecdote amusante et une explication complémentaire.
« Je suis charmé de vous voir
réunis autour de moi, disait un jour Louis XVIII à une députation du
Bureau des Longitudes qui étaient allés lui présenter la « Connaissance
des temps et de l’annuaire », car vous allez m’expliquer nettement ce
que c’est que la lune rousse et son mode d’action sur les récoltes »
Le savant Laplace, à qui s’adressait plus
particulièrement ces paroles, resta comme atterré ; lui qui avait tout
écrit sur la lune, n’avait en effet jamais songé à la lune rousse. Il
consultait ses voisins du regard mais, ne voyant personne disposé à prendre la
parole, il se détermina à répondre lui-même : « Sire, la lune
rousse n’occupe aucune place dans les théories astronomiques ; nous ne
sommes donc pas en mesure de satisfaire la curiosité de Votre Majesté. »
Le soir, dans les salons du palais,
pendant son jeu, le Roi s’égaya beaucoup de l’embarras dans lequel il avait mis
les membres de son Bureau des Longitudes. Laplace l’apprit et vint demander à
Arago s’il pouvait l’éclairer sur cette fameuse lune rousse qui avait été le
sujet d’un si désagréable contretemps. Arago alla aux informations auprès des
jardiniers du Jardin des Plantes et d’autres cultivateurs, et voici le résultat
des investigations que le grand savant a ensuite rédigées et qui ont été
publiées par Flammarion dans l’ouvrage : « Astronomie populaire »
:
« Dans les nuits des mois d’avril
et mai, la température de l’atmosphère n’est souvent que de 4, de 5 ou de 6
degrés centigrades au-dessus de zéro. Quand cela arrive, la température des
plantes exposées à la lumière de la lune, c'est-à-dire à un ciel serein, peut
descendre au-dessous de zéro, nonobstant l’indication du thermomètre. Si la
lune, au contraire, ne brille pas, si le ciel est couvert, la température des
plantes ne descend pas au-dessous de celle de l’atmosphère, il n’y aura pas de
gelée, à moins que le thermomètre n’ait marqué zéro, pour d’autres raisons. Il
est donc vrai, comme les jardiniers le prétendent, qu’avec des circonstances
thermométriques toutes pareilles, une plante pourra être gelée ou ne l’être
pas, suivant que la lune sera visible ou cachée par des nuages ; si les
jardiniers se trompent, c’est seulement dans les conclusions : c’est en
attribuant l’effet à la lumière de l’astre. La lumière lunaire n’est ici que
l’indice d’une atmosphère sereine ; c’est par suite de la pureté du ciel
que la congélation nocturne des plantes s’opère ; la lune n’y contribue
aucunement ; qu’elle soit couchée ou sur l’horizon, le phénomène a
également lieu. L’observation des jardiniers était incomplète, c’est à tort
qu’on la supposait fausse. »
Les savants viennent ici au secours de la
sagesse populaire qui avait fait les mêmes observations depuis belle
lurette ! et aussi des poètes.
Il y a fort à parier que la référence à
cette couleur fait allusion aussi au caractère maléfique (supposé !) de
notre amie céleste, pourtant si « douce au miséreux et aux amoureux »
comme le dit si joliment la fameuse « complainte de la Butte ».
Car les rousses, disait-on au temps jadis, portaient sur la tête rien de moins
que les flammes de l’enfer. Elles étaient suspectes de sorcellerie, redoutées
sur les bateaux, accusées de faire tourner le lait et de rancir le beurre. Dès
lors rien d’étonnant à ce qu’une rousse, toute planète qu’elle soit, fasse
tourner le printemps, « rire jaune » le jardinier, et jette la
désolation au potager !
Cette lune rousse d’avril est plutôt
souvent une lune pâle, comme je vous l’ai déjà dit, de cette pâleur qui « caresse
l’opale de tes yeux blasés ». Cette lune blême qui « jette un
diadème » sur les cheveux roux de la "petite mendigote" de la rue Saint
Vincent, a-t-elle donc vraiment une responsabilité personnelle dans les ravages
infligés aux végétaux qui vident la bourse des paysans ! Le monde agricole
qui vise la priorité de sa production aux premiers fruits et légumes de toutes
sortes, semble commencer à comprendre qu’il ne faut pas tailler trop tôt car
plus on taille tôt plus les bourgeons vont sortir et éclore tôt et plus on sera
dans ces périodes dont il faut se méfier. Et les réchauds, bougies et autres
fumigènes coûtent cher et ne compensent pas suffisamment le manque de chaleur
de la nuit. Alors on crie à la calamité agricole.
Et nous, consommateurs achetons des fruits
de saison et pas des fraises à Noël !
Est-elle vraiment responsable cette lune
qui inspire une si belle complainte et qui nous donnera encore ce 20
avril, jour de Nouvelle Lune, le beau spectacle de son rendez-vous avec le
soleil puisque rendez-vous (éclipse) il y a bien. Il y a éclipse chaque fois
que la Nouvelle Lune ou la Pleine Lune a lieu au nœud lunaire. Las ! cette
éclipse ne sera pas visible chez nous. L’auteur des paroles de la complainte de
la butte avait bien observé le temps : « Mais voilà qu'il flotte,
La lune se trotte, La princesse aussi. Sous le ciel sans lune, Je pleure à la
brune, Mon rêve évanoui ! » .
C’est pendant cette période qu’on
rencontre les célèbres Saints de Glace !
Avec Saint Georges le 23 avril, on
aborde la période où ils vont sévir. La fête de ce saint est accompagnée d’une
kyrielle de proverbes et de dictons sur la pluie. « Pluie de saint Georges, coupe les cerises à la
gorge ! » ou
encore : « S’il pleut à
la saint Georges, de cent cerises restent quatorze. » Et aussi : « S’il pleut à la saint Georgeau, n’y aura
guignes ni bigarreaux »
De toutes les façons, qu'il pleuve ou
qu'il vente, pour la saint Georges il faut mettre la "graine" c'est à dire les œufs de ver à soie, que l’on appelle « les borgnes »
car ils n’ont pas d’yeux, dans les couveuses, et non plus comme autrefois dans
un petit sac pendu sous les jupons des dames ou encore dans leur soutien-gorge…
petit sac qu’on glissait la nuit sous l’édredon du lit conjugal. Un vieux
proverbe occitan, bien connu en Cévennes, nous dit que pour la saint Marc ce
sera trop tard. Les plus anciens connaissent bien cela, et particulièrement à
Uzès, pays d’élevage des vers à soie, des magnaneries et des filatures, et où
les habitants sont appelés « débassaïres », « faiseurs
de bas », surnom justifié par le nombre des filatures présentes sur la
ville ! On imagine combien les gelées tardives étaient dramatiques pour
les « éleveurs de ver à soie » quand la feuille des mûriers,
toute jeune et frêle subissait les assauts du gel. (Il faut remarquer au
passage, que dans le vocabulaire local, on parle plus souvent de
« la » feuille et non des feuilles…)
Le 25 avril c’est la Saint Marc : s’il pleut le jour de la saint Marc, les guignes couvriront le parc ; ou encore : A la saint
Marc s’il tombe de l’eau, il n’y aura pas de fruits à couteau. C’est à dire
de fruits dont on enlève la peau avec un couteau pour les manger…
« Marquet (Marc), Georget (Georges), et Philippet (Philippe), sont
trois casseurs de Gobelets ». Saint Philippe était autrefois
fêté le 1er mai. Pourquoi casseurs de gobelets ? Parce
que le froid ou la grêle ces jours–là est néfaste pour la vigne, donc au vin,
donc aux pichets et aux gobelets. On dit encore :« Trois saints dont faut se méfier… » Saint
Robert le 29 avril : « Gelée de saint Georges, saint Marc, saint Robert,
récolte à l’envers. »
On dit aussi : « La pluie de saint Robert, du bon vin emplira ton
verre. » Selon les régions, les lieux ou les années, l’eau est attendue,
comme cette année, et ce vieux dicton démontre que la période que nous vivons
s’est déjà produite. Si donc il pleut ce jour-là, tout ne sera pas
négatif…Par contre s’il pleut ensuite pour les saints suivants ce sera
différent. Le 30 avril pour
Saint Eutrope (ou Tropet) : « saint Eutrope mouillé,
Cerises estropiées. »
Du 23 avril au 6 mai, ces saints sont
aussi appelés « les saints cavaliers » ou « les
saints chevaliers » ou encore, selon Rabelais : « les
saints gresleurs et gasteurs de bourgeons ».
Les Saints de Glace ne
seraient, selon certaines interprétations, que les suivants, dont la liste se
déroule jusqu’au 11 mai, soit pour les derniers jours de la lune rousse, et en
particulier, ceux dont on parle le plus : « Mamert, Servais et
Pancrace, voilà les trois saints de glace. »
Il faut encore
dire, pour être le plus complet possible sur ce sujet, que c’est pendant cette
période de Lune Rousse que ce situent les Rogations. On appelle ainsi ces
prières et processions qui avaient comme objectif de demander à Dieu de bénir
la terre et ses fruits, instaurées par Mamert, Évêque de Vienne (420-477), à la
suite d’une période de misère dans le Dauphiné, période sans doute consécutive
à un gel tel celui d’une Lune Rousse et tel que cela s’est produit plusieurs
fois comme en 1897 puis en 2003. On appelle aussi ces processions « litanies
mineures », les « litanies majeures » ayant lieu
elles, pour la Saint Marc et pour des raisons semblables.
En 1897, entre
le 11 et le 13 mai, il avait gelé, et les dégâts avaient été d’autant plus
importants que l’hiver avait été bénin, et que la végétation était bien
avancée ! Le Cher avait été dévasté. Les vignes avaient gelé, ainsi que
les pommes de terre, les haricots et les fraisiers. A Angers, la gelée avait
ravagé les cultures au sud de la Loire mais épargné celles qui se situaient au
Nord du fleuve ! Dans notre région du Gard les feuilles de mûriers avaient
gelé et avaient fait défaut pour nourrir les vers à soie…On conserve dans les
familles de nombreuses lettres qui parlent de cela. Ce fut une catastrophe, car
il faut non seulement des feuilles de mûriers pour nourrir les vers à soie mais
aussi de la chaleur !
Il était donc
naturel de célébrer Mamert en ces périodes de risques pour les cultures. « Méfiez-vous de saint Mamert, De saint
Pancrace et de saint Servais, car ils amènent un temps frais, Et vous auriez
regret amer. »
Rien de bien
nouveau quand on voit ici ou là comme à Perpignan récemment, l’Église
Catholique, organiser des processions et des prières pour invoquer tel ou tel
saint local et appeler la venue de la pluie.
Pour poursuivre
sur le sujet Lune Rousse et Saint de Glace ; il faut noter que les
Rogations avaient lieu les trois jours avant la fête de l’Ascension, qui est
cette année le 18 mai, donc encore dans cette trop fameuse lunaison.
On trouve en
effet encore d’autres Saints de Glace après ces dates car la lunaison peut être
totalement décalée par rapport à notre calendrier qui est sur une base solaire
avec des mois plus long que les mois lunaires.
C’est pourquoi
il faut encore ajouter à la liste, le 14 mai, Saint Boniface : « au
jour de la saint Boniface, toute boue s’efface. » Puis la sainte Denise le 15 mai : « A la
sainte Denise, le froid n’en fait plus à sa guise. »
Et pour l’Ascension,
le 18 mai cette année : « A l’Ascension, dernier frisson. »
C’est alors vraiment qu’on pourra affirmer, après
le dicton qui nous incite à la prudence vestimentaire en avril : « En mai fait ce qu’il te plait, en
provençal : oou mes de maï faï ce
que ti plaï ». On
dit aussi : « qui s’alaoujo
avant lou mes de maï, segur nuon soou ce que faï ! » En réalité,
tout ceci c’est parce que la lunaison dite « lune rousse » se
terminera le 19 mai. Nous ne serons vraiment tranquilles qu’après le 25 mai,
car : « le vigneron n’est pas
assuré que la saint Urbain ne soit passée... »
A Diou sias !
Jean Mignot
en la veille de la Lune Rousse
de 2023.