Li vaquerieu
Cette année on peut craindre encore
des perturbations atmosphériques, car la lune, bien qu’elle n’ait aucun
rayonnement, nous donne presque toujours des indications. Il y a toujours du
temps perturbé environ trois jours avant ou trois jours après la Nouvelle Lune.
Or elle sera le 1er avril cette année, sur cette période
Voici donc cette vieille légende
que l’on retrouve avec des versions très proches, dans la quasi-totalité des
pays d’Europe, tout particulièrement dans tous les pays méditerranéens mais
aussi en Europe centrale et il semblerait aussi dans les pays scandinaves.
Si elle a pris naissance il y a quelques
centaines d’années, ou bien plus, c’est bien parce que des faits semblables se
sont déjà produits. Ne mettons pas trop vite le mauvais temps et les perturbations
qu’il entraine, voire les catastrophes sur le compte du réchauffement
climatique ! Bien sûr, il n’est pas question de dénier une évolution dans
nos modes de vie et ses répercussions sur le climat.
Les vieux dictons du temps sont
le fruit des longues observations de nos Anciens, et ils sont de fait, une
belle preuve, quand ils touchent au temps, que déjà, il y a bien longtemps,
alors qu’on ne parlait pas de réchauffement climatique, des phénomènes
atmosphériques tels ce que nous vivons ce sont déjà produits.
Cela ne nous dispense pas de
respecter Dame Nature. Respectons-la et
sachons regarder les leçons qu’elle nous donne comme celle des « jours
d’emprunts » ou « jours de la vieille » ou « jours de la
vache » ou « li vaquerieu ».
« Ce que mars couve, on ne
le sait qu’après son trente et unième jour » nous dit un vieux
dicton. Ou encore : « Soit au commencement, soit à la fin, mars
montrera son venin ». En
pays d’Oc on dit « Mars marsejo » ce qui veut bien
dire : mars fait son temps de mars, c'est-à-dire mars n’en fait qu’à sa tête !
Rien de sûr. Mars est capricieux.
La légende ou vielle histoire des
Vaquerieu, s’inscrit bien dans cette logique. La voici adaptée par mes soins,
selon le souvenir lointain de ce disaient mes vieux parents cévenols. Une étude
plus approfondie des différentes versions serait un bon sujet pour des
étudiants d’écoles spécialisées.
Ceux qui sont intéressés peuvent
se procurer l’ouvrage : « les
jours de la vieille » de Marcelle Delpastre et Albert Pestour, édité
par la Société d’études historiques et archéologiques de la moyenne Corrèze, à
Tulle en 1961.
« La vieille » prend
une signification météorologique. En Provence elle représente souvent la nature.
Frédéric Mistral dans Mireille, décrivant ce froid qui tue les bêtes d’un troupeau,
écrit : « e li jour negre de la vaco »
Une vieille
dame, s’étant gaussée d’un hiver bien peu rigoureux, avait perdu son troupeau
de brebis, à cause des assauts du mauvais temps, par périodes de rafales
brusques et imprévues, que rappellent à notre mémoire quelques vieux dictons bien
connus de nos Anciens.
Elle ne se découragea pas pour autant et remplaça son troupeau par
autant de vaches plus robustes, pensait-elle…
Le mois de mars fut favorable à son élevage et elle n’avait qu’à s’en
féliciter. A la lumière de l’expérience elle eût dû en rester là. Elle eut la
sottise de dire : « En escapan
de mars e de marséu, aï
escapa mi vaco e mi vedéu. », (En échappant à mars et à ses giboulées J’ai sauvé mes vaches et mes
veaux).
Fâché d’une telle ingratitude,
le mois de mars va trouver son voisin :
« Abriéu, n’aï plus que tres jour, presto-m’en quatre li vaco de la
vieio faren batre. ». (Avril, je n’ai plus que trois jours, prête-m’en
quatre, les vaches de la vieille nous ferons battre= mourir). Avec
l’accord d’avril, une gelée tardive tua la végétation et cette fois encore la
vieille perdit son troupeau.
Je peux citer quelques variantes,
tout en invitant ceux qui parmi vous connaîtraient d’autres versions à me les
faire parvenir, ce qui serait certainement très intéressant pour notre mémoire
commune.
Dans un vieil hameau de Provence,
après un hiver peu rigoureux, une vieille se moqua du mois de février parce que
celui-ci n’avait pas été très rude. Comme en cette année 2022. Le mois de février
en fut très fâché. Il demanda au mois de mars de bien vouloir lui prêter trois jours.
Alors se leva un mistral fou qui emporta tout sur son passage. Il fit froid. Le
troupeau de brebis – les bédigues- de
la vieille moururent. Elle se lamenta quelques jours puis décida d’acheter des
vaches car elle pensait qu’elles résisteraient mieux au mauvais temps. Vers la
fin du mois de mars, il faisait beau, les arbres fruitiers avaient déjà fleuri,
les rosiers commençaient à ouvrir leurs boutons, Pâques approchait, l’équinoxe
était passée, le printemps était là. La vieille dansait de joie pensant avoir
sauvé vaches et veaux.
On trouve une variante à cette
légende, en pays catalan.
Mars se vexa et voyant que le
mois allait se terminer sans qu’il ait pu faire périr les vaches de la vieille,
il se retourna vers son voisin avril et lui demanda de lui prêter quatre jours.
Des gelées survinrent et brûlèrent la végétation. Les vaches périrent. Ainsi,
soit durant les derniers jours de février, soit les trois premiers jours de
mars ou pendant les derniers jours de ce mois ou encore au début du mois
d’avril on peut encore entendre, dans les campagnes de nos pays d’Oc, les
lamentations de la vieille, portées par le fort vent qui souffle alors.
L’hiver se rappelle à nous en
nous disant qu’il peut être tardivement très rude, même si nous avançons
tranquillement vers le printemps.
Selon certaines versions, la vieille,
sortant trop tôt son troupeau de l’étable, voit celui-ci pétrifié. D’autres
versions disent que c’est la vieille elle-même qui est pétrifiée comme chez les
Aït Ouaran qui disent que les mégalithes du Mont Buiblan, ou le mont lui-même,
au sud de Taza, au Maroc, sont la vieille pétrifiée au milieu de son troupeau.
A Fez, chez les Hayaina, on parle
d’une vieille enlevée avec son troupeau de chèvres par un torrent en crue.
Selon les lieux on trouve en
effet des variantes sur le bétail : moutons et brebis, chèvres ou vaches.
Ou même d’une seule vache et de son veau. Chez les Seksawa, plus au sud du
Maroc, on dit que la vieille fit tondre son troupeau trop tôt croyant le froid
fini, ce qui contribua à faire périr les moutons. Chez les Ntifa on parle pour
ces jours de fin mars du « jour de la Chèvre ».
D’autres légendes courent sur ce
thème en Italie, en Espagne, en Grèce et chez les Serbes, en Roumanie et en
Bulgarie, et dans bien d’autres lieux.
Des versions différentes sont
transmises de bouche à oreille avec parfois des versions plus drôles ou plus
grivoises. Je m’en tiendrai aux quelques références données.
Ce qu’il faut retenir, c’est que
la nature n’a pas fini de nous surprendre. Qu’il faut la respecter, sinon elle
sait nous rappeler à l’ordre.
Quant aux savants et météorologues
et autres astronomes, ils pourraient fort bien nous expliquer, sur la base de
leurs observations très précises, que le
positionnement de la terre dans sa course autour du soleil, ou de la lune dans
sa course autour de la terre et la situation de tout cela dans le cosmos
planétaire présentent des coïncidences, attestées par des proverbes, dictons ou
légendes qui pourraient permettre de dire que tous les éléments sont rassemblés
pour que l’on puisse dire, avec peu de chances de se tromper, le temps qu’il va faire. En tous cas ne pas
ignorer ces phénomènes et leurs influences. Tout juste si on évoque vaguement
les saints de glace ou la saint Médard, à peine la Lune Rousse
« Si l’hiver ne janvroie, si
février ne févroie, mars vient qui ne laisse rien » dit-on en Eure
et Loir. C'est-à-dire que janvier se doit d’être froid et février pluvieux,
sinon les effets de l’hiver surgiront en mars, anéantissant toutes les
promesses de récolte.
On peut toujours s’attendre à du
mauvais temps fin mars. Il faut rester vigilants tant que la Lune Rousse ne
sera pas passée. On a vu en 2021 ce que pouvaient faire comme dégâts sur les
fruitiers dans la vallée du Rhône en particulier. Ils se sont produits pendant
les Vaquerieu. Et non plus tôt que prévu à cause du changement climatique qui selon eux fait
que les dates des saisons sont perturbées. On oublie un peu trop vite les observations de
nos Anciens, les dictons du temps et les légendes qui devraient nous alerter
plus. De l’intérêt de les connaitre et de les rappeler.
Jean
Cévenne