Histoires de cloches
Les cloches vont
carillonner ce jeudi 6 avril, Jeudi Saint, aux clochers de nos églises, puis se
taire par signe de deuil, célébrant la mort du Christ en croix puis sa
résurrection au matin de Pâques dans la clarté du Printemps et du soleil
levant. Signe d’Espoir et d’une vie nouvelle. Non elles ne sont pas parties à Rome
et ce ne sont pas elles qui vont nous ramener les œufs de Pâques que nos
enfants vont aller chercher dans les jardins, n’en déplaise à certaines
traditions dont on a oublié les fondements. Cette tradition des « œufs de
Pâques » est étroitement liée au Carême, période pendant laquelle - régime
végan avant l’heure - on ne consommait pas d’œufs. D’où l’utilisation
importante des desserts à base d’œufs juste avant cette période le mardi-gras,
puis les œufs de Pâques, après le jeûne, notamment le « lundi de l’omelette »,
« lundi de Pâques ».
Voici un extrait du texte
d’Eric Sutter sur cette histoire des cloches au moment de Pâques. « Au VIIIe
siècle, dit Arnold Van Gennep dans son ouvrage de référence « Le Folklore
français », on cesse de sonner les cloches (ainsi que les clochettes
d'autel), afin de commémorer dans le recueillement cet événement fondateur de
la religion chrétienne, la mort et la résurrection de Jésus. (La règle demeure
imprécise dans les coutumes monastiques du IXe siècle. C'est à la fin de ce
siècle que le codex rédigé au Mont Cassin fixe l'interruption, avec
remplacement des cloches de métal par des instruments de bois, des complies du
Mercredi Saint à la messe tardive du Samedi Saint. Le début de l'interruption
varia selon les régions chrétiennes et selon les monastères. L'uniformité de la
coutume ne commença de s'établir que vers la fin du XIIe siècle. (D’autres
sources indiquent l'interdiction de sonner les cloches date seulement du
Concile de Trente, en 1542)
L'apôtre Mathieu écrit
qu'au moment où Jésus mourut, il se produisit des phénomènes terrifiants. C'est
pour rappeler cet événement que le son des cloches a été remplacé, pendant de
nombreuses années, par le bruit des « instruments des ténèbres » (claquoirs,
crécelles, martelets...). Aux offices, dès le Jeudi Saint, la crécelle ou le
claquoir remplace la sonnette d'autel. Pour annoncer les différents moments de
la journée, l'angélus, les offices religieux, les crécelleurs (le plus souvent
les enfants de chœur) passent dans toutes les rues du village en faisant
tourner leurs crécelles et crient : « C'est l'angélus... » ; chaque appel est
ponctué d’un tour de crécelle. Quand les cloches reprenaient du service lors de
la nuit pascale, les crécelleurs cessaient le leur ! Ils faisaient ensuite le
tour du village, allant de porte en porte pour quêter œufs, frais ou en sucre,
ou des pièces de monnaie.
Pour être certain que la
règle d'interruption de sonner les cloches soit respectée, il était courant que
le curé demande au sonneur de relever les cordes dans le clocher ! »
Dans mon village cévenol,
on envoyait les enfants de chœur aux sorties du village en direction des
hameaux dispersés dans la vallée pour qu’ils actionnent ces crécelles annonçant
les heures des cérémonies. C’était toujours pour les enfants un grand sujet
d’amusement ! On se disputait pour savoir qui sonnerait les clochettes, puis
pour savoir qui serait désigné pour actionner la planchette de bois, la
crécelle ou le claquoir pendant le reste de la cérémonie du Jeudi-Saint après
le Gloria de la messe et le silence imposé aux cloches.
« Selon Van Gennep,
les succédanés en bois des cloches employées en France pendant la période de
Ténèbres peuvent se répartir en sept types :
le martelet : planchette munie d'un
manche sur laquelle vient frapper alternativement d'un côté et de l'autre un
petit maillet ;
la crécelle : roue dentée montée sur
un manche et sur laquelle vient frapper une lamelle en bois flexible ; c'est un
moulinet de caractère rotatif ;
le batelet : combinaison des deux
précédents, dit aussi écalette ;
le claquoir : planchette sur
laquelle est fixée une poignée qui frappe alternativement à droite et à gauche,
grâce à un léger mouvement de la main ;
le livre : formé de deux
planchettes reliées au sommet et qu'on fait frapper l'une contre l'autre ( j’en possède un à la
maison ! ) ; c'est le principe des castagnettes ;
la matraca : planchette munie d'un
manche contre laquelle viennent frapper deux autres planchettes sur charnière
(usitée surtout en Espagne) ;
un instrument constitué
par de nombreuses planchettes trouées maintenues par une ficelle ou un fil de
fer...
A noter que certains
types de crécelles fixes peuvent mesurer plusieurs mètres de long ! Van Gennep
consacre de nombreuses pages de son ouvrage à l'usage de ces instruments dans
les différentes régions françaises. Nous n'entrerons pas dans le détail ici.
« La coutume de
faire sonner les cloches à Pâques est ancienne et liée au souhait très humain
de faire du bruit, lorsque c'est la fête, particulièrement la fête du
printemps. La sonnerie des cloches annonce « l'accouchement printanier » de la
nature. (Dans la Rome classique, la superstition voulait qu'on fasse tinter une
cloche près d'une femme en train d'accoucher pour écarter les mauvais esprits
et favoriser une naissance faste.)
L'Eglise « récupère » les
fêtes de printemps païennes, comme les autres fêtes, pour marquer le rythme
liturgique. Ce n'est que dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques que les
cloches carillonnent pour annoncer la joie de la résurrection du Christ. La
cloche est un des symboles forts de cette fête chrétienne.
Pâques marque aussi la
fin du Carême. Autrefois, les œufs étaient engrangés pendant cette période et
souvent conservés dans l'eau de chaux ou d'autres manières. On les ressort pour
les festivités.
C'est ainsi qu'est née la
légende. »
« Pour expliquer
l'absence de sonnerie pendant cette période, on a dit longtemps aux enfants que
les cloches partaient à Rome. Mais pour des raisons aussi diverses que nos
régions : pour aller chercher leurs œufs bien sûr, mais aussi pour déjeuner
avec le Pape dit-on en Lorraine mosellane, pour se faire bénir affirment les
habitants de la Bresse, pour se confesser assure-t-on dans l'Isère, ou même
pour aller y manger de la tomme (fromage) trouve-t-on dans certains contes...
Pour le voyage, les cloches se munissent d'une paire d'ailes, de rubans ou
(parfois) sont transportées sur un char.
Des superstitions restées
vivaces dans les campagnes avant le VIIe siècle, poussent les agriculteurs à
voir dans le ciel des cloches « brillantes et rougeoyantes ». De nombreux
paysans affirment en avoir vu filer au-dessus de leurs champs en faisant
entendre un bourdonnement. En 587, Grégoire de Tours notait : « Nous vîmes pendant deux nuits de suite, au
milieu du ciel, une espèce de nuage fort lumineux qui avait la forme d'un
capuchon. »
On a dit longtemps aux
enfants qu'elles revenaient chargées de friandises et, en battant à toute
volée, qu'elles les déversaient dans les jardins et les prés, sur les balcons
des appartements. Le folklore varie selon les régions. Une promenade des
enfants est organisée hors du village pour guetter leur passage et la chute des
œufs. Mais leur vol est si rapide que personne ne les aperçoit. D'ailleurs,
elles ne se montrent qu'aux enfants qui ont été très sages. Combien d'enfants
regardèrent dans le ciel et ne virent jamais ces fameuses cloches de Rome ! Une
mystérieuse chasse aux trésors s'organise néanmoins au petit matin de Pâques et
fait la joie des petits et des grands.
Si dans tous les pays de
culture chrétienne on trouve la tradition des œufs de Pâques, ils ne sont pas
apportés aux enfants de la même manière... Le rôle de la cloche dans le
transport des œufs se rencontre essentiellement en France ou en Italie. Au
Tyrol, il s'agit d'une poule ; en Suisse, d'un coucou et dans les pays
anglo-saxons un lièvre. Le lièvre — ou le lapin — symbolise l'abondance, la
prolifération et le renouveau. C'est en Allemagne et en Alsace, vers le XVe
siècle, qu'on associa pour la première fois le lapin (blanc) de Pâques avec les
œufs de Pâques pour célébrer le printemps. »
Cette légende est une
source d'inspiration pour les illustrateurs ou dessinateurs.
L'illustration ancienne
la plus connue évoquant le voyage des cloches est probablement la gravure de
Grandville (1803-1847) intitulée Le Voyage des cloches à Rome. Cet
illustrateur, né à Nancy, de son vrai nom Jean Gérard, monta à Paris à l'âge de
23 ans. Il se rendit célèbre peu de temps après avec ses caricatures d'hommes à
têtes d'animaux. Entre 1835 et 1847, il fournira des centaines de dessins aux
éditeurs.
Une autre illustration
connue est celle qui a fait la couverture du supplément illustré hebdomadaire
au quotidien Le Petit Journal du dimanche 2 avril 1899, n°437, et qui
représente deux anges ailés transportant une cloche dans le ciel, avec au
lointain un village et la silhouette de la basilique Saint-Pierre de Rome
(légende : « Pâques. Le retour des cloches ») ; dessin signé du célèbre
illustrateur et graveur parisien Fortuné Méaulle (1844-1901).
Quelques cartes postales
du début du XXe s. évoquent également ce voyage à Rome dans les airs, avec la représentation
de cloches généralement ailées (figures de H. Manuel, notamment). Les cartes
illustrées modernes se limitent à associer des cloches très stylisées à des
œufs colorés. Globalement, sur l'ensemble des cartes postales ou cartes
illustrées éditées à l'occasion des fêtes de Pâques depuis un siècle, les
cloches sont beaucoup moins fréquemment représentées que les œufs.
On retrouve le thème
graphique de la cloche, avec celui des œufs, sur les emballages des confiseries
vendues au moment de Pâques.
A Rome, envolez-vous, divines messagères,
Au Saint-Père affirmez
notre constante foi
L'Homme méchant, en vain,
sous une injuste loi
Veut incliner nos fronts,
proscrire nos prières.
Aux fidèles chrétiens
vaillants dans la souffrance
.
Il n’y a pas de cloches
que pour Pâques même si ce dimanche 9 avril on va encore entendre les cloches à
grande volée. Bonne occasion de dire quelque chose sur les sonneries des
cloches dont on a oublié le côté pratique. Leur sonnerie n’est en effet pas limitée
aux seules cérémonies religieuses. De tous temps les sonneries des cloches ont
rythmé notre vie et rythment encore de grands moments de notre existence.
Il y a tant à dire sur
les cloches et sur leurs différentes sonneries qui rythment les vies de nos
villes et de nos campagnes ! (au moins 61 800 références quand on
fournit les mots clés « Cloche, Pâques, Rome » au moteur de recherche Google !)
Si vous avez du temps
lisez sur internet l’excellent article d’Eric Sutter, Président de la
Fédération des Fondeurs de cloches publié en 2006 : « Code et langage
des sonneries de cloches en occident » sur http://campanologie.free.fr/
Comme aux heures sombres
de notre histoire, à la déclaration de guerre en août 1914, les cloches de nos
églises ont sonné pour commémorer ce moment en sonnant à nouveau en août 2014.
(Ecoutez le tocsin puis
le plenum le 1er Aôut 2014 à la Cathédrale Saint Pierre de
Montpellier : https://www.youtube.com/watch?v=A-8sV9DnECg)
A la Libération en août
1944 les cloches de toutes les églises ont sonné.
Après les attentats de
2016, les cloches de toutes nos églises de France ont sonné.
En avril 2019 elles ont
sonné en signe de soutien au
terrible drame qui a frappé la Cathédrale Notre Dame de Paris. (cloches de
la Cathédrale d’Uzès
https://www.youtube.com/watch?v=3lB81hsYmCg
Le 25 mars en 2021 elles
ont sonné pour signifier au peuple de France que ce que nous vivons avec la
pandémie était un évènement particulièrement grave.
Appel à la prière, appel
à la méditation, appel au recueillement.
Nos cloches continueront
de sonner, pour annoncer les cérémonies religieuses ou pour un évènement
particulièrement grave qui marque notre quotidien ou les grands moments de
notre histoire.
Bien plus qu’un appel à
une cérémonie religieuse, les cloches continuent de sonner aux beffrois de nos
villes du Nord, à nos campaniles du Midi, ou à nos tours de l’Horloge, pour
rythmer le temps qui passe !
Sans parler du tocsin et
du couvre-feu, désormais revenu d’actualité et annoncé par les sirènes.
Au cours des siècles ces
sonneries de cloches ont pris de telles dimensions qu’elles sont souvent à
l’origine du nom d’une cloche ou d’une sonnerie.
Sonnerie de l’Angélus
bien sûr qui rythme la vie des paysans dans nos campagnes, mais aussi sonnerie
horaire, sonnerie du « couvre-feu » appelée parfois «
Salve », « tocsin », sonnerie pour l’abandon d'un enfant.
« Glas » (annonce d'un décès) sur
une façon de sonner qui permet de savoir si on enterre un homme ou une femme.
En dehors de nos églises
il y a bien d’autres sonneries de cloches : « Cloche de la
Bourse » et du palais Brogniard, « cloche du Marché »,
ou cloche des Halles à Paris, « La poissarde » à
Beauvais ; « Messglocke » à Colmar ; ; « cloche
du Tribunal » ; cloche du président de séance d’une assemblée ;
cloche des marins, « cloche de quart », « cloche de
brume ».
« Zenergloke » à Strasbourg ou « cloche
des Juifs » ; « Bürgerglocke »
à Neuwiller lès Saverne ;
« Noguette » à Saint Malo et à Dinan ;
« S’Lumpaglocke » à Ribeauvillé et aussi « Ratsglocke »
et « Brennglocke ;« la Cloc'h An Comun » à
Quimper.
« Cloche des écoles » annonçant la
récréation ; « Cloche des usines » annonçant l’heure
de prise ou de fin du travail.
Carillon de nos beffrois
du Nord ; sonnerie du « Ratire-coquin » à Saint Lô. « Nadalet »
des carillons du Midi ; « aubette » ;
« cloche des sacristies » et « cloche de Chœur »
de nos églises ; et tant d’autres !
Cloche de ND de Bonheur
sur l’Aigoual qui avait la vocation de permettre aux voyageurs perdus dans le
brouillard de retrouver son chemin.
Et quand la nature
reprend le dessus ! Quand l’orage détruit les installations électriques et
quand l’eau des torrents gardois détruits les systèmes d’alerte d’inondation,
on fait quoi ? Mr le Maire d’Aramon en septembre 2002, l’électricité ne
permettant de faire fonctionner les systèmes d’alarme, n’a eu comme seule
ressource que de demander au père Curé d’aller sonner le tocsin à l’église.
Mais on fait comment sans électricité ? et sans corde ? pour sonner
une cloche… et qui sait comment sonner le tocsin ? (sonnerie à coups
pressés et redoublés au rythme de 90 à 120 coups par minute à l’aide du battant
tiré par une corde ou d’un martelet)
Autant d’évocations qui pourraient
faire l’objet d’une chronique encore plus détaillée notamment pour répondre à
tous ceux qui s’insurgent contre le chant matinal des coqs et sur les sonneries des cloches ! sans
d’ailleurs se poser la question des sonneries intempestives à tous moments de
la journée de nos téléphones portables !
Vous comprendrez donc
aisément que je préfère pour conclure cet article, citer ce si beau chant de
l’Angélus de la mer, plutôt que « Maudit sois-tu
carillonneur » !
Et chante au matin
clair !....
Entendez-vous ? Dans la
brise qui jase
Tinte l'écho des cloches
du pays,
Les flots joyeux que la
lumière embrase
Ondulent plus blonds que
les blonds épis...
Au loin c’est
l’Angélus.. !
Bonnes Pâques. Rendez vous pour la chasse aux œufs. Gardez-vous bien en bonne santé ! Soyez à Dieu ! Addissias !
Jean Mignot le 4 avril 2023
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