vendredi 31 mars 2023

d'avril 2023 et de son poisson

 

Du poisson d’avril

Notre « poisson d’avril » doit-il son origine à une pandémie ? En 1564 Catherine de Médicis fait entreprendre au jeune Charles IX (1550-1574) un grand Tour de France de près de 4000 km, beaucoup plus que le Tour de France actuel dont on se demande ce qu’il a de tour de France ! L’objectif est de restaurer l'autorité royale et forger l’unité du royaume et de renforcer les liens de fidélité à l’égard de la monarchie, en montrant le petit roi de 14 ans et les petits princes (le prince Henri (13 ans) duc d'Orléans futur roi de Pologne puis Henri III, le prince François de France (9 ans), futur duc d'Anjou et la princesse Marguerite (11ans) la fameuse Reine Margot épouse d’Henri IV). Le pays sort de la première guerre de religion et on veut tenter de réconcilier les protestants et les catholiques et faire appliquer les édits de paix. Au passage on veut tenter de réconcilier les maisons de Guise et de Montmorency. On tentera de rencontrer les souverains des pays voisins à qui appartiennent des régions devenues bien plus tard françaises, la Lorraine, la Savoie, le comté de Nice, le Roussillon et les Flandres entre-autres. Souvenons-nous que ni la Michelade à Nîmes (1567) ni la Saint Barthélémy (1572) n'ont eu lieu.

Comme on dirait aujourd’hui Catherine ne lésine pas sur les moyens ! La Cour forte d’environ 15000 personnes prend la route en deux cortèges séparés, celui du Roi et celui de la Reine Mère. On est en janvier 1564. Il y a escorte militaire, personnel du gouvernement, domestiques portant les meubles (tapisseries et coffres…), des princes et des ambassadeurs mais aussi des artisans. À chaque étape, il y avait une véritable course au logement. Dans les grandes villes, le roi dort à l'hôtel du plus riche bourgeois (celui-ci devant se loger ailleurs), mais il lui est arrivé plusieurs fois de dormir dans des auberges. Se loger était en effet un véritable problème, car le voyage comprenait plusieurs milliers de personnes. Les grands seigneurs de la cour avaient chacun leurs agents. Je vous épargnerai le récit de cette grande balade et je n’évoquerai que quelques étapes. Elles sont pour le Roi et ses ministres, une occasion de voir vivre le pays et de faire des constats pour en tirer des leçons et décisions. Il y en a qui ont tenté de faire pareil il n’y a pas si longtemps que ça et on attend toujours les leçons qu ils en ont tiré et la concrétisation des promesses !

Le cortège royal parti le 24 janvier de Fontainebleau arrive à Lyon le 9 juin. Mais le séjour est interrompu par une épidémie de peste. Notons au passage que c’est une autre épidémie plus violente que celle-ci, en 1628, qui sera à l’origine de la Fête des Lumières à Lyon le 8 décembre chaque année. Cette peste de 1564 arrive de l’Italie. La Cour doit chercher refuge hors de Lyon. Le Roi et ses ministres sont accueillis 50 km plus bas à Roussillon, dans le beau château renaissance d’inspiration italienne, construit pour le Cardinal François de Tournon (1489 -1562), fameux diplomate et ministre au service de François Ier (Ne pas confondre Roussillon en Dauphiné avec le petit village de Château-Roussillon près de Perpignan !) Pendant 29 jours, du 17 juillet au 15 août, au milieu des fêtes et réjouissances, on s’occupe. Catherine de Médicis et ses conseillers, notamment Michel de l’Hospital et Sébastien de l’Aubespine reformulent des articles de l’édit de Saint Germain, édit que le Parlement de Paris avait refusé d’enregistrer. Les édits tentaient de jeter les bases d’une administration moderne, mais tous limitaient le pouvoir des notables, des parlements et de l’église au bénéfice du Roi et de la centralisation. Il ne faut pas oublier que le pays venait de vivre la première guerre de religion. C’est dans ce contexte, et de façon tout à fait accessoire, alors que tous les articles de l’édit concernent la justice et la police du Royaume, qu’on ajoute un article 39 qui établit que désormais l’année commencerait le 1er janvier.

On avait en effet constaté au cours des étapes déjà accomplies, de grandes disparités sur la date de début de l’année. Le diocèse de Lyon faisait débuter l’année à Noël, ainsi qu’en Poitou et en Normandie, mais à Vienne, tout à côté, l’année commençait le 25 mars pour la fête chrétienne de l’Annonciation. Dans d’autres endroits le début de l’an était le 1er mars comme chez les Romains ; ailleurs c’était à Pâques, avec toutes les conséquences sur les fêtes mobiles comme encore aujourd’hui.

Jusque-là, pour être le plus clair possible dans la rédaction des actes d’état-civil, il fallait donner plusieurs références comme par exemple cet extrait de la généalogie des rois de France de Bouchet en 1506 : « Charles VII alla à trépas au chasteau d’Amboise le (samedi) 7 avril 1497 avant Pâques ( le 15 avril cette année-là), à compter l’année à la feste de Pasques ainsi qu’on le fait à Paris, et en 1498 à commencer à l’Annonciation de Nostre Dame ainsi qu’on le fait en Aquitaine » Vrai casse-tête pour les historiens ! On est encore sous le calendrier « Julien ». La réforme du calendrier dite grégorienne n’interviendra que en 1582 sous le règne d’Henri III. 1564 est une année bissextile. Pâques est célébrée le 2 avril cette année-là.

C’est dans la logique de cet édit de Saint Germain qu’il fallait encore faire valider par le Parlement, qu’on ajoute ce dernier article qui est probablement à l’origine du Poisson d’Avril. : « Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contrats, ordonnances, édicts, tant patentes que missives, et toute escripture privé, l’année commence doresénavant et soit comptée du premier jour de ce mois de janvier. Donné à Roussillon, le neufiesme jour d’aoust, l’an de grâce mil cinq cens soixante-quatre. Et de notre règne le quatrième. Ansi signé : » le Roy en son Conseil » Sébastin de l’Aubespine. »

On ne peut pas vraiment dire, vu son âge, que c’est à Charles IX qu’on doit cette décision. Il serait plus juste de dire que c’est une décision prise «  sous le règne de Charles IX ». De même il est faux de dire que cette décision est intervenue le 1er avril 1564 et que donc cette année-là fut plus courte. En règle de droit, les décisions sont rarement rétroactives. L’édit a été signé le 9 août 1564. Je tiens à préciser cela car il y quantité d’articles sur internet venant de sources pourtant sérieuses, qui véhiculent cette erreur.

Je fais remarquer au passage le rôle du Parlement. Les parlements étaient investis du pouvoir de contrôle de légalité, c'est-à-dire du contrôle de la compatibilité des ordonnances, édits et déclarations du roi avec les lois, coutumes, et autres règlements existants. Si le Parlement refusait le roi pouvait passer outre comme le fera Louis XIV et d’autres ! Le roi pouvait non pas révoquer le parlement mais exiler les parlementaires en les renvoyant dans leurs foyers ou en les faisant emprisonner. Pratiques anciennes dont le 49-3 est un lointain héritage !

L’édit de Roussillon fut enregistré dès cette année 1564 par le Parlement de Paris, mais fut appliqué petit à petit avec plus ou moins de bonheur et beaucoup de réticences. Dès qu’il faut changer les habitudes on sait bien, nous les Français, combien c’est difficile d’évoluer ! La décision est appliquée à Paris en 1567, à Beauvais en 1580. Cela nous amène bien vite à la grande réforme grégorienne de 1582. On ne peut donc pas dire que le premier « poisson d’avril » date de 1564 !

Pour donner une explication facile, on se plait à raconter que le 1er avril 1565, c'est-à-dire celui qui suivait la décision de Roussillon, est donc théoriquement celui de la première application de cette décision.

Les habitants de certaines régions, en souvenir de cette date, continuèrent d’offrir des cadeaux farfelus de toutes sortes qui devinrent vite des farces, des blagues et des canulars. Ce serait là le « Poisson d’avril ».

Selon les corps de métiers, on demandait aux apprentis les moins dégourdis, de ramener « la corde à lier le vent », « la passoire sans trou », « la clef des champs », « le bâton à un seul bout » ou de « l’huile de coude ». Voici donc une hypothèse sur l’origine du poisson d’avril. On en trouve d’autres qui n’ont pas plus de fondement que celle-ci.

En Angleterre, le poisson d’avril se dit « april’s fool ». C’est l’occasion de faire de nombreux gags. En Ecosse, c’est le traditionnel « hunt the gowk ». Gowk c’est le coucou. On envoyait l’idiot du village porter un message ; celui qui le recevait envoyait le messager à une autre personne, et ainsi de suite jusqu’à ce que le messager finisse par ouvrir le message et lise ces mots « chasse le coucou un mile de plus ! ». Quand il revenait le soir, éreinté d’avoir couru pour rien toute la journée, les farceurs ayant organisé ce tour pendable, se réunissaient pour rire à ses dépens. La personne dupée était appelée « April gowk » « coucou d’avril ». Et pourquoi le coucou. Parce qu’un vieux dicton dit « Ce n’est jamais avril si le coucou ne l’a pas dit ! »

Les Ecossais avaient ainsi beaucoup de plaisir à envoyer des personnes faire des courses idiotes, comme d’aller chercher des dents de poule ou du lait de pigeon ! Le 2 avril chez eux se nomme « Taily day ». Il s’agit de réussir à donner un cadeau à une personne de son choix tout en essayant de lui coller dans le dos un petit panneau où il est écrit « Donnez un coup de pied aux fesses ».

En Belgique les enfants (et même les plus grands !) attachent un poisson en papier dans le dos de leurs camarades, de leurs parents, de leurs professeurs.

En Allemagne, on dit « April april » ou « Aprilscherz » et ce, au moment de faire sa blague ou juste après pour faire comprendre que c’est juste une blague !

Nous pourrions poursuivre notre promenade ! Poursuivons là avec la Cour jusqu’en Occitanie. Charles IX pénètre en Languedoc en traversant le Rhône le 11 décembre 1564 à la hauteur de Tarascon et Beaucaire. Après la traversée du Rhône en bateau, le roi dîne à Beaucaire puis prend la route du Pont du Gard en se dirigeant à Sernhac pour dormir la nuit du 11 au 12 décembre. Il arrive à Nîmes (12 au 14 décembre 1564). Avant d'arriver à Nîmes dans la soirée du 12 décembre, le roi fait un détour par le château de Saint-Privat pour dîner et pour admirer le Pont du Gard. Le seigneur de Crussol offre au roi une collation, des confitures et des nymphes qui sortent de dessous un grand rocher. Le lendemain, le roi reste toute la journée à Nîmes.

Ensuite c’est Vauvert les 14 et 15 décembre. Le Roi y dîne et y dort. Puis Aigues-Mortes les 15-16 décembre 1564) : le roi dîne et dort dans cette ville forte au milieu des marécages de mer. La Cour reste ainsi dans cette province jusqu’au 21 mars 1565, soit 100 jours ( plus de trois mois). Ce Tour de France exceptionnel se termine seulement le 1er mai 1566.

Quant à la peste de 1564 elle fait de nombreuses victimes à Lyon, Vienne, Chantemerle, Mercurol et autres lieux voisins pendant que les autorités prescrivent une grande surveillance aux portes des villes où les citoyens sont de garde à tour de rôle.Pour les contrevenants les amendes sont fixées à vingt sols.

La papauté généralisa la décision de commencer l’année le 1er janvier pour l’ensemble des pays catholiques en 1622.

La fête Pâques le 9 avril cette année devrait être aux tisons puisqu’il a fait très doux pour Noël 2022. « Noël au balcon, Pâques aux tisons. » Le temps de ce début avril s’annonce être assez frais le matin et printanier en journée si j’en déduit ce que je vois du cycle de la lune. Et les différents services de météorologie les annoncent ainsi.

C’est donc un mois d’avril fidèle aux traditions de son fameux dicton qui s’annonce. «  En avril ne te découvre pas d’un fil. » D’autant plus que nous avons encore à subir la Lune Rousse du avec son cortège de Saints de Glace. Je rappelle pour resituer cette lunaison à sa juste place, que « la Lune Rousse, et la lunaison qui commence après Pâques et dont la Pleine Lune a lieu fin avril ou début mai. » Ce sera donc entre le 20 avril et le 19 mai. Précisément la période où on retrouve ces fameux saint tant redoutés en agriculture.

Addissias.

Jean Mignot le 31 mars 2023



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