Décembre 2023 nous tend un piège et nombreux sont ceux qui sont « tombés dans le panneau », selon une expression dont on ne sait plus très bien les origines. Dès le XIIIe siècle, pendant les chasses, un « panneau » était un filet ou une étoffe tendue de manière à y prendre le gibier, sans avoir besoin de l’approcher et donc sans l’effrayer. C'est donc simplement de ce piège qu'est d'abord née l'expression "tendre un panneau (à quelqu'un)" avant que notre expression apparaisse. Depuis, on emploie cette expression pour dire qu'une personne s'est fait piéger sans s'en rendre compte.
En l’approche de cette
fin d’année où les promesses de tout changer fleurissent à tous les coins de
rue, d’où qu’elles viennent, il est très facile de « tomber dans le
panneau » en portant crédit à un peu n’importe quoi : «
et puis la télé l’a dit ! » même si on ne l’a pas entendu
soi-même. Ce mois de décembre avec son actualité s’inscrit bien dans cette
expression… à moins que les promesses soient enfin tenues !
C’est ainsi que plusieurs
d’entre nous sont tombés dans le panneau avec ce mois de décembre 2023. Ce mois
a en effet 5 samedis, 5 dimanches. Et chacun y va de la
retransmission de ce message aux copains en signalant ce fait extraordinaire
qui ne se reproduira pas avant 823 ans (ou parfois seulement 623 ans !).
Or cela n’a rien d’exceptionnel. C’est ce qu’on appelle un hoax ou un canular
informatique, une farce si vous préférez, ou pire un piège visant seulement à
tenter de copier vos adresses internet à d’autres fins pas toujours très
correctes.
Ce piège s’appelle
un « sac d’argent ». Nombreux sont ceux qui se sont
crus obligés de transmettre cette information, pensant écrire quelque chose
d’extraordinaire sans vérifier sa véracité.
Les « sacs
d’argent » c’est une croyance mystérieuse qui nous vient d’une
vieille tradition chinoise : le Feng Shui. Une croyance mystique
selon laquelle l'environnement peut influer sur la circulation de l'énergie
vitale, une sorte de géomancie, art divinatoire très ancien, très prisé chez
les Egyptiens, chez les Perses et chez les Chinois !
Selon cette mystérieuse
et ancienne tradition il faut partager le message ou l’image pour recevoir de
l’argent dans les cinq prochains jours. Le Feng Shui existe depuis au moins
3000 ans
Ni réalité, ni même
mythe. Tout ceci est simplement un ramassis de bêtises.
Pour ajouter du piment à
la communication de ce soi-disant phénomène remarquable, on nous met en
garde : « si vous ne partagez pas l’image, vous aurez des
problèmes financiers le reste de l’année ». Plus qu’à d’autres moments
en cette fin d’année nous sommes plus sensibles aux « prévisions »
pour la nouvelle année désormais très proche.
Depuis 2012 ce type de
message circule de façon de plus en plus répétée. Imaginez si vous ne le
transmettez pas, combien de temps devrez-vous attendre avant de pouvoir le
partager de nouveau ? 623 ans ? 823 ans ?
Or tout mois de 31 jours
commençant par un vendredi possède 5 vendredis, 5 samedis, 5 dimanches. Depuis
1900, il y a eu par exemple 16 mois de juillet commençant par un vendredi. Donc
rien de bien exceptionnel. De plus, en 2023 décembre n’est pas le seul à avoir
ses 5 samedis et 5 dimanches ! Il y a eu janvier, avril et juillet. Personne
n’a rien dit !
En 2024 il y aura 5 samedis
et 5 dimanches, en mars et en juin, 5 samedis en août et novembre et 5
dimanches en septembre et décembre !
Allons… un peu de
jugeote ! un peu de bon sens ! Il est vrai que, comme l’écrivait
Descartes : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée
: car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus
difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer
plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ;
mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai
d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est
naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos
opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres,
mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne
considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon,
mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables
des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne
marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup d’avantage, s’ils suivent
toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent »
— (René Descartes, Discours de la méthode, La Haye, 1637)
Je voulais donner cette
rapide explication parce que, comme vous peut-être, j’ai reçu un mail de bons
amis m’informant du soi-disant côté exceptionnel de ce mois de décembre 2023.
Voilà donc une
particularité de ce mois de décembre 2023, pas si particulière ou
exceptionnelle que ça !
Autre particularité pour
ce mois de décembre où l’on voit fleurir à l’approche de Noël l’expression « période
calendale » si riche en traditions et en coutumes de toutes sortes.
Or « calendale »
vient des calendes bien sûr mais selon le calendrier « romain » il y
a des calendes tous les débuts de mois ! Pourquoi donc se référer aux calendes spécifiquement
pour cette période de fin d’année ?
Les calendes
n’existaient comme on le sait bien, que chez les Romains. C’était le premier
jour du mois et c’était le moment où les pontifes faisaient connaître les jours
fériés ou chômés, mais aussi les échéances pour les impôts et autres taxes.
L’occasion m’est trop belle en ces périodes où « on » nous promet
tout ou rien ou n’importe quoi, de rappeler cette expression « renvoyer aux calendes grecques » « ad
kalendas graecas » c’est-à-dire à jamais, puisqu’il n’y a pas de
calendes dans le calendrier grec. On le sait bien, quelle que soit
l’appartenance politique ou partisane, on ne peut pas, ou on ne veut pas, tenir
tout ce que l’on va nous annoncer pour 2024. La prochaine année sera une année
faste pour cela !
Quelques autres
proverbes ont la même signification : « la semaine des quatre jeudis » ( mais désormais c’est le
mercredi qu’il faudrait dire ! ) ;
« à la saint glinglin » ;
ou encore « quand l’enfer gèlera »
ce qui serait la traduction d’un dicton anglais « when hell freezer
over » . En Espagne on trouve «
cuando las ranas crien pelo » :
« quand les grenouilles auront du poil » ;
et dans certaines régions de France on disait vers les années 1884 : « quand les poules pisseront », mais
pour rester plus correct on dit «
quand les poules auront des dents ! »
En anticipant sur les
discours que nous allons inévitablement entendre en fin de mois je vous invite
à relire cette maxime de La Rochefoucault car je trouve dans son expression une bien grande sagesse pour les temps qui courent : « Nous promettons selon nos espérances
et nous tenons selon nos craintes ». Quant au grand Vauvenargues il écrivait « On
promet beaucoup pour se dispenser de donner peu ». Toujours d’actualité. Restons prudents comme
nous y invite Montesquieu « Vérité
dans un temps, erreur dans un autre » et suivons le conseil de
Cervantès « Il faut donner du temps
au temps !» , citation dont se sont accaparés d’autres hommes
politiques et non des moindres !
Et en ce mois de décembre
les sujets de chroniques sont nombreux et je laisse de côté les si célèbres
Sainte Barbe et Saint Nicolas avec leur cortège de traditions « calendales »
dont je vous en ai entretenu si souvent.
Je voudrais seulement
rappeler ces fêtes du solstice, ces fêtes autour du jour où, après la nuit la
plus longue, le soleil revient vainqueur. C’est le « Dies Natalis Solis
Invicti » qui correspondait au jour de la naissance de « Sol invictus »,
le soleil invaincu, le jour où le soleil arrête sa course et au moment où les
jours, recommencent de croître.
C’est là l’origine du mot
« Noël ». Il vient du latin natalis dies (jour de la naissance),
devenu natalis par abréviation ; puis Nadal ou Nau en langue d’Oc (ce qui par
cette altération veut alors aussi dire « nouveau » ou « neuf ») puis Noé ou
Nouël en langue d’oïl. C’est cette dernière forme qui s’est seule maintenue. Le
mot est normalement masculin. C’est le jour de la naissance, et non la fête. Le
Noël et non la Noël. Actuellement c’est le mot féminin qui l’emporte. Dommage !
C’est au lendemain du
solstice, le lendemain du jour où après la plus longue nuit de l’année on voit
le soleil revenir et briller un peu plus longtemps et de plus en plus, que
l’Eglise, reprenant ce symbole de la « re-naissance » de la lumière,
vainqueur des ténèbres, a fixé la fête de la Nativité dont Noël est devenu l'expression la plus couramment utilisée. L’occasion était trop belle
pour l’Eglise d’utiliser ce symbole de la lumière plus puissante que la nuit,
du soleil vainqueur, pour fixer à cette date la fête de la naissance de Jésus.
C’est le Pape Télésphore
(125-136) qui institua la célébration de cette naissance. Ce fut d’abord une
fête mobile Le Pape Jules 1er (280-352) décida que ce serait le 25 décembre
puisqu’alors le calendrier « julien » fixait le solstice au 24
décembre. Quand on appliqua la réforme du calendrier en 1582, on repositionna
le solstice à une date plus précise, le 21 ( en 2024 et en 2025) ou parfois le
22 décembre ( cette année) , donc le « jour du sol invictus »
mais la fête de la Nativité de Jésus resta fixée le 25 décembre. En d’autres
termes, le 21 serait plus proche du mot Noël et le 25 la Fête de la Nativité de
Jésus.
En 532, le moine Denys le
Petit, à l’appui d’un savant et solide calcul, démontra, sur la base des textes
historiques et sacrés, que Jésus était né le 25 décembre de l’an 753 de la
fondation de Rome, confirmant ainsi la date de Noël.
On s’accorde aujourd’hui
pour reconnaître que ces calculs comportaient une part d’erreurs, le roi Hérode, contemporain de la naissance du Christ,
étant mort en l'an 750 de la création de Rome. Jésus serait donc né entre l'An 3 et l’An 6 avant
l'ère chrétienne. Le Pape Benoit XVI l’a reconnu, dit et écrit mais ça ne
change rien au contexte de fêtes dans lesquelles nous sommes. On continue de
dire les années avant ou après la naissance de Jésus : « av JC »
et « ap. JC ». Aujourd’hui, on emploie de plus en plus l’expression « avant
notre ère » et « après notre ère », laïcisation
aidant, sans pour autant tenir compte de cette erreur.
A ce stade de l’irrationnel,
pourquoi ne pas revenir à l’appellation en usage aux temps romains où on
comptait les années : « à partir de la fondation de Rome » selon l'expression latine AUC - ab
urbe condita, ce qui signifie : « depuis la fondation de
la ville » .
Avec ces quelques rappels je voudrais répondre à ceux qui, dans un total illogisme et
avec une méconnaissance grave, s’opposent à toutes sortes de traditions des
fêtes de cette fin d’année, crèches, sapins, décorations et que sais-je encore.
Laïcisation oblige ! Mais
tiens ! curieux ils ne disent rien pour Halloween ni pour la Toussaint (
voir ma chronique à ce sujet ).
Je reviendrai
dans une prochaine chronique sur les différents calendriers et sur l’année 2024
qui sera une année bissextile qui mérite une explication particulière.
Bon Noël !
Buon Nadal ! Bonnes Fêtes ! Addissias !
Jean Mignot le
1er décembre 2023
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