samedi 30 août 2025

Au trente et un du mois d'Août

 Et puis M…. !

« Au 31 du mois d’Août… » Cette chanson commémore le combat du 31 août 1800 au cours duquel le corsaire Surcouf qui commandait « La Confiance » captura le navire anglais « Kent » un trois mâts de 1200 tonneaux, monté avec 400 hommes et 38 canons alors que notre corsaire n’avait à sa disposition que quinze ( ou six ?) canons pour un bateau de 490 tonneaux.

« Que va-ton dire -t-on du grand rafiot

à Brest, à Londres ou à Bordeaux,

qu’a laissé prend’ son équipage

par un corsaire de quinze canons,

lui qui en avait trente et si bons »

 

Bonne occasion de se moquer et de tourner en dérision nos amis Anglais par ce refrain qu’on se plaisait à chanter : « et merde pour le Roi d’Angleterre… »

Nos relations avec ceux d’outre-Manche n’étaient déjà pas au beau fixe !

Une autre version « historique » donne à ce combat naval des dates et des lieux différents mais il s’agit toujours de la Confiance qui arraisonne le Kent et du même juron adressé aux Anglais !  

 

L’usage de notre « célèbre ? … » juron daterait-il de cette date et non de ce 18 juin 1815 à Waterloo, où il est attribué au Général Cambronne et que l’on appelle souvent « le mot de Cambronne » ?

 

Selon une légende très populaire, commandant le dernier carré de la Garde, au moment de cette triste défaite, sommé de se rendre par le général britannique Colville, le général Cambronne aurait répondu « La Garde meurt mais ne se rend pas ! » puis un définitif « Merde ! » avant d'être grièvement blessé. L'armée du Nord s'enfuit dans le plus complet désordre, abandonnant l'essentiel de son train d'équipage et de son artillerie.  Cambronne, blessé d’un coup de feu au sourcil gauche, est fait prisonnier.

Il nia farouchement avoir prononcé ce juron avec panache en réponse au général anglais et toujours démenti avoir prononcé l’autre phrase qu’on lui attribue « la Garde meurt mais ne se rend pas ». « Je n'ai pas pu dire « La Garde meurt mais ne se rend pas », puisque je ne suis pas mort et que je me suis rendu »

Il semble bien que Cambronne ne prononça ni la phrase ni le mot bien que dans nos habitudes, notre juron soit resté « le mot de Cambronne ».

Concernant la phrase, c’est un certain Rougemont, journaliste à la plume inventive, qui, dans la journée du 23 juin 1815, créa de toutes pièces la fameuse réponse, et la plaça dans la bouche du général Cambronne ; le lendemain, il la faisait paraître dans le Journal Général de France. En passant par le canal de quatre journaux différents, elle subit plusieurs métamorphoses avant d’aboutir à sa forme définitive : « La Garde meurt et ne se rend pas »

Deux autres faits « historiques » nous donnent la preuve que l’usage de ce juron existait avant Waterloo.

Qui ne connait ce mot de Napoléon qui en Conseil des Ministres restreint le 28 janvier 1809, s’adresse à Talleyrand « Tenez Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie ! » Ce qui valut quelques temps plus tard devant un parterre d’ambassadeurs, la réplique bien connue elle aussi : « Quel dommage, Messieurs, qu’un si grand homme soit si mal élevé ! »

 On dit aussi que 49 jours avant Waterloo, le capitaine de vaisseau Collet (celui-là même qui, avec le grade de contre-amiral, dirigera plus tard les opérations du blocus d’Alger), commandant à ce moment la Melpomène, rencontrant  devant Ischia le navire anglais Rivol et  sommé de se rendre aurait répondu  au commandant anglais ce mot, très éloquent dans sa brièveté : « Merde ».

« Le mot de Cambronne » n’obtint de succès que vers 1830, soit quinze ans après la bataille.

Victor Hugo retrace successivement toutes les étapes de la glorieuse déchéance de Napoléon et  raconte à  sa façon la bataille de Waterloo amplifiant la "version  Cambronne »  et en faisant ainsi  sa réputation. Il écrit : « Cambronne à Waterloo a enterré le premier empire dans un mot où est né le second », et dans Les Misérables: « Dire ce mot, et mourir ensuite. Quoi de plus grand ! car c'est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu. (…) L'homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c'est Cambronne. Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »  

Mais on est déjà en 1853 !

Waterloo, Waterloo ! morne plaine … !

Il faut se garder de transformer et romancer l’histoire et admettre que la légende ait préféré emprunter au héros de cet obscur combat naval le fameux juron pour le mettre sur les lèvres de Cambronne.

Le célèbre mot adressé aux anglais est entré dans l’histoire. Symbole de la culture française il fallait l’inscrire dans le dictionnaire de l’Académie. Cela donna lieu à une séance épique et à quelques échanges que je peux présenter ainsi :

Les séances du Dictionnaire n’ont pas toujours cette tristesse monotone que l’on prête aux réunions des Quarante, rapporte Comoedia dans son numéro du 19 novembre 1926. La journée précédente avait été consacrée en grande partie à la lecture des discours destinés à être lus le jeudi suivant sous la Coupole, à l’occasion de la réception de Louis Bertrand par Jules Cambon.

Louis Bertrand est un romancier Académicien devenu dreyrusard puis hitlérien. Jules Cambon est un diplomate qui, ambassadeur de France en poste à Berlin, reçut, le 3 août 1914, la déclaration de guerre faite à la France. Pour plus de détails voir Wikipedia ou toute autre encyclopédie.

 Cette solennité de réception d’un académicien est de tradition quai Conti. Après sa comparution devant le conseil de lecture, dont la bienveillance est toujours acquise aux néophytes dans l’humaine immortalité, M. Louis Bertrand, fut admis « aux honneurs de la séance » où les immortels présents s’occupaient précisément de l’indésirable substantif lancé jadis par le général Cambronne, à la figure de nos bons alliés anglais.

« Le successeur au fauteuil de Maurice Barrès recula d’horreur, un peu indigné que de tels propos fussent prononcés en si bonne compagnie, car ce mot a de nombreuses acceptions et les immortels avaient conçu de les discuter toutes, comme de pudiques magistrats expédient en une seule audience des débats trop scabreux. » rapporte  Comoedia

Tout en se gardant de romancer l’histoire, on peut bien admettre que la légende ait préféré emprunter au héros de cet obscur combat naval le fameux juron, pour le mettre sur les lèvres de Cambronne.

Loin de ces considérations historiques, le problème de l’admission du juron au sein du Dictionnaire se posait aux académiciens. Allait-on l’admettre dans le code de la langue ? Louis Bertrand qui avait là une belle occasion de participer pour la première fois au travail du Dictionnaire, ne dit mot, en revanche, Jean Richepin fit une spirituelle communication sur les titres de noblesse du mot, terme si expressif dont il est impossible de trouver un aussi éloquent synonyme, rapporte Comoedia.

Bref la question se posait : le substantif n’est pas français et sa suppression devait être décidée ; ou bien il est de bon usage et légitimement français. Les Quarante délibérèrent longuement puis rendirent le verdict suivant : « Merde restera français avec sa définition substantive mais l’exclamation ne sera pas admise ».

C’est seulement dans la 9e édition du Dictionnaire, dont le premier tome parut en 1992 que le juron fit son entrée.

Cambronne ou pas,  voilà ce juron admis au rang du bon français et validé par l’Académie.

Je laisse à d’autres le soin de décliner ce mot sous toutes ses utilisations ! dépit, colère, surprise, refus ou souhait !

Et puis … je ne vous …..em…bêterai ( sic !) …. pas plus avec cette histoire ! surtout au 31 du mois d’août 2025

Jean Mignot


vendredi 1 août 2025

Août un mois avec l’accent

 

Août un mois avec l’accent

Pour suivre les directives du rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques, ce mois devrait perdre son accent ! Cette décision, si elle était mise en œuvre, ferait disparaître ce signe – l’accent circonflexe – et la consonne finale « t » qui nous rappellent que le nom de ce mois a été décidé pour honorer le premier empereur romain Auguste. En effet si nous suivons ces directives il faudrait prononcer « ou » sans faire sonner la consonne finale, donc perdre cette référence à Auguste.

Août est un mois victime d’un « amuïssement » c’est à dire d’un phénomène qui dénature l’origine du mot. L’amuïssement consiste en l'atténuation ou, le plus souvent, la disparition complète d'un phonème ou d'une syllabe dans un mot.

Je ne me lancerai pas sur une explication phonétique et compliquée, ce dont je suis incapable. Je ne parlerai même pas d’internet et du langage des sms qui font que notre langue est en train de se dénaturer totalement.

« Il faut commencer selon l’ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes » dit le maître de philosophie à Monsieur Jourdain (Acte 2 scène IV du Bourgeois gentilhomme – 1670)

« J’ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles parce qu’elles expriment les voix ; et en consonnes ainsi appelées parce qu’elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. »

On se souvient bien de cette scène admirable où le maître de philosophie explique de façon très détaillée la façon dont il faut positionner les lèvres et la mâchoire pour former les sons.  

Une consonne comme son nom l’indique est faite pour sonner. Elle donne du corps à notre belle langue. Le français sans ses consonnes serait une langue sans structure, sans squelette !

Si je parodie Molière, pour prononcer « ou » la bouche fait justement comme un petit rond les lèvres en avant. Essayez et vous verrez ! C’est ce qui nous fait dire à nous autres gens du Midi que prononcer ainsi c’est « parler pointu » comme les « Parisiens » - c’est-à-dire ceux qui vivent au Nord de Montélimar- On dit aussi les « gens du Nord » parlent pointu. Et de façon moqueuse et un peu grossière, on dit qu’ils parlent la bouche « en cul de poule »

Avec cette prononciation, Août perdrait toute son originalité, et la trace de son étymologie sans son accent. 

Une consonne comme son nom l’indique est faite pour sonner. Elle donne du corps à notre belle langue. Le français sans ses consonnes serait une langue sans structure, sans squelette !

Août, perdrait toute son originalité, et la trace de son étymologie sans son accent.

Août un mois qui a beaucoup de caractère.

C’est en l’an 8 av JC que « sextilis », le 6ème mois de l’année romaine, devint « Augustus », en vertu du Sénatus-consulte justifiant cette décision pour rendre hommage aux principaux événements de la vie d'Auguste, tels que son premier consulat, ses trois triomphes, la conquête d'Égypte, la fin des guerres civiles, accomplis dans le cours du huitième mois de l'année.

L’historien Flavius Macrobius Ambrosius Théodosius, plus connu sous le nom de Macrobe, né en 370 ap JC en Numidie, dans un de ces trois royaumes qui se partageaient l’Afrique du Nord berbère, un territoire qui a une longue histoire,  même avant 622 ! et  Lucius Cassius Dio, dit Dio, né en Bythinie, pas loin de Nicée, nous ont laissé le récit de cette décision du Sénat romain de baptiser ce mois, le sixième mois de l’année, du nom de Caius Octavius Thurinus, Imperator  Caesar Divi Filius Augustus, dont on n’a retenu que le qualificatif Auguste.

Ces historiens sont des « passeurs de témoins ».

La seule trace de cette origine est cet accent circonflexe que ces « Messieurs du quai de Conti » - comme on disait avant 1980,  c’est-à-dire avant l’ouverture de l’Académie aux femmes et l’élection mouvementée de Marguerite Yourcenar - voudraient faire disparaître. Sauvegardons l’accent du mois d’août avec nos amis d’Espagne qui continuent d’appeler ce mois « agosto » et ceux d’outre-Manche qui écrivent « August ».

La cigale de Monsieur de La Fontaine promet à la fourmi : « je vous paîrai, lui dit-elle, avant Oût, foi d’animal ».  Voltaire, dans l’avertissement de Zaïre recommande de prononcer « oût » et il écrivait à la marquise du Deffand : « A Ferney 19 Auguste, car il est trop barbare d'écrire août et de prononcer «ou». Pourtant Madame de Sévigné à la plume si facile écrivait « le mois d’out »

La prononciation « a-ou » reparaît à partir du XIX e siècle chez les orateurs démocrates et chez les poètes comme Sainte-Beuve, V. Hugo et H. de Régnier et on serait, disent-ils, dans la vraie tradition française en prononçant toujours et uniquement « ou ».

Littré écrit « l’« a » ne se prononce pas bien que certaines personnes prononcent « a-ou ». Mais il dit lui aussi : « le « t » ne se lie pas ; la mi-août, dites la mi-ou ». C’est ce que tournait en dérision Ménage qui écrivant au Président Bellière (Nicolas de Bellière Président à mortier au Parlement de Paris 1593 - 1650) « s’imaginer entendre miauler les chats quand les Procureurs, à l’audience, disent que l’affaire est reportée à la mi-août » !

Bien sûr nous pensons ici au "Duo des chatsDuetto buffo di due gatti", ce merveilleux duo humoristique de deux chats de Rossini.

L'article du célèbre Littré est d’autant plus étonnant que d’autres mots dérivent de ce nom. Son dictionnaire en donne une série dont beaucoup ont disparu de nos vocabulaires. 

Comment allons-nous appeler ceux qui prennent de vacances en ce mois d’août nos « aoûtiens » ?  Quel nom allons-nous donner à cet acarien, « l’aoûtat » qui provoque des démangeaisons si désagréables en cette saison ? Les jardiniers conseillent de choisir un « bois aoûté » pour de jeunes branches dont le bois s’est endurci avant l’hiver, pour faire des greffes. On parle encore, mais moins souvent, d’un melon « aoûté » pour un melon bien muri par la chaleur. Plus rare à trouver et si bon !

« Août donne du goût !» dit un vieux dicton. C’est la température du mois d’août qui fait que le vin est bon ou mauvais. « Ce que le mois d’août ne mûrira pas, ce n’est pas septembre qui le fera ! » dit un autre vieux dicton, et tant d’autres !

Gardons bien tout son goût à notre mois d’août !

Bon mois d’août !

Jean Mignot le 1er août 2025