Le 1er avril n’était pas au programme ! …
« Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments,
contrats, ordonnances, edicts, tant patentes que missives, et toute escripture
privé, l’année commence doresénavant et soit comptée du premier jour de ce moys
de janvier. »
Donné à Roussillon, le neufiesme jour d’aoust, l’an de grâce mil cinq
cens soixante-quatre. Et de notre règne le quatriesme. Ainsi signé, le Roy en
son Conseil. Sébastin de l’Aubespine.
C’est en ces termes en vieux
français qu’il fut décidé que désormais ce ne serait plus au mois d’avril que
commencerait l’année civile mais en janvier. Le roi et la Cour étaient à
Roussillon en Isère. Catherine de Médicis, profitant de la paix retrouvée entre
partis catholique et protestant, avait entrepris en janvier 1564, un grand tour
de France pour renforcer dans les provinces le sentiment monarchique. Il
fallait asseoir l’autorité du jeune roi qui n’avait que 14ans. Un parcours de
près de 4000 km qui devait durer deux ans à travers les provinces du royaume
avec une cour de 15000 personnes. On imagine difficilement le côté pratique de
ce déplacement qui mènera Charles IX dans le Gard, à Nîmes et au château de Saint
Privat au Pont du Gard.
Le 9 juin1564 la Cour fait étape
à Lyon, mais une épidémie de peste l’oblige à trouver refuge dans le château de
Roussillon quelques 50km plus au sud. Le séjour fut agréable, interrompu par
quelques séances de travail. Le souverain était accompagné de ses ministres,
Michel de l’Hospital et Sébastien de l’Aubespine. Un édit relatif à la police
et à la justice du royaume avait été rejetée par le Parlement de Paris ?
On se remit au travail. Le 1er avril n’était pas au programme. Mais on
avait constaté au cours de ce voyage à travers les provinces que l’année
commençait à des dates variables selon les coutumes et usages locaux, tantôt Noël,
tantôt Pâques, ou le 25 mars à Vienne mais le 25 décembre à Lyon ainsi qu’en
Poitou, en Normandie ou en Anjou par exemple. On décida d’uniformiser cela. Si
on n’a pas la même référence c’est difficile de gouverner. On ajouta un article
39 à cet édit qui stipula que l’année
commencerait désormais le 1er janvier.
Cette disposition fut acceptée et
enregistrée par le Parlement de Paris dès 1564 mais appliquée plus ou moins rapidement.
A Paris en 1567, à Beauvais en 1580… Les nouvelles ne circulaient pas aussi
vite qu’aujourd’hui, sans télévision et sans internet, et il fallait du temps
avant qu’une loi soit promulguée…Quand on arriva au 1er avril 1565 certaines
régions n’acceptèrent pas la nouvelle disposition. Ces irréductibles
continuèrent à recevoir leurs contemporains avec de faux cadeaux, mottes de
terre ou bottes de paille. Avec le temps les petits cadeaux d’avril se
transformèrent en farces, blagues et canulars. Selon les corps de métiers, on
envoyait les apprentis les moins dégourdis en leur demandant de rapporter des
objets insolites tels que « la corde à lier le vent », « la
passoire sans trou », et « la clef des champs » ,
« le bâton à un seul bout » ou de « l’huile de
coude »…C’est cette page d’histoire qui serait à l’origine de nos
poissons d’avril.
Je dois faire remarquer que cet
édit de 1564 fut appliqué, avec quelques difficultés dues aux résistances
locales toujours très fortes et ça ce n’est pas très nouveau dans notre
pays ! , qu’au premier janvier de l’année qui suivait, donc après le 1er
janvier 1565, les décisions administratives n’ayant en principe aucun effet
rétroactif.
Ce n’est donc qu’après 1564 que
progressivement est née la tradition de commémorer feu le début de l’an au 1er
avril par toutes sortes de farces et attrapes. Nous l’avons vu, Paris appliqua
l’édit en 1567. Beauvais en 1580. Le poisson d’avril ne date donc pas de 1564
mais des années qui suivirent.
D’aucuns prétendent que l’origine
est autre et que le poisson d’avril est lié au fait que la lune sort du signe
zodiacal des Poissons ; d’autres prétendent que l’origine serait dans le
fait qu’avril étant encore en carême on ne mangeait alors que du poisson... !
En Angleterre, le poisson d’avril
se dit « april’s fool ». C’est l’occasion de faire de nombreux
gags. En Ecosse, c’est le traditionnel « hunt the gowk ». Gowk
c’est le coucou et chez nous on dit : « Ce n’est jamais avril si
le coucou ne l’a pas dit ! » ( Il n’a pas encore chanté dans notre
région ! ) Dans ce pays, on envoyait l’idiot du village porter un
message ; celui qui le recevait envoyait le messager à une autre personne,
et ainsi de suite jusqu’à ce que le messager finisse par ouvrir le message et lise
ces mots « chasse le coucou un mile de plus ! ». Quand il
revenait le soir, éreinté d’avoir couru pour rien toute la journée, les
farceurs ayant organisé ce tour pendable, se réunissaient pour rire à ses
dépens. La personne dupée était appelée « April gowk » « coucou
d’avril ».
Les Ecossais avaient ainsi
beaucoup de plaisir à envoyer des personnes faire des courses idiotes, comme d’« aller
chercher des dents de poule » ou « du lait de pigeon » !
Le 2 avril chez eux se nomme « Taily day ». Il s’agit de
réussir à donner un cadeau à une personne de son choix tout en essayant de lui
coller dans le dos un petit panneau où il est écrit « Donnez un coup de pied
aux fesses ».
En Belgique les enfants (et même
les plus grands !) attachent un poisson en papier dans le dos de leurs
camarades, de leurs parents, de leurs professeurs.
En Allemagne, on dit « April
april » ou « Aprilscherz » et ce, au moment de faire sa
blague ou juste après pour faire comprendre que c’est juste une blague !
Nous pourrions poursuivre notre
promenade !
Nous observerons bien le temps du jour des Rameaux, « Pâques fleuries », car s’il pleut sur les rampams ( les rameaux) il risque de pleuvoir sur le « volant » c’est à dire la faucille que l’on utilisait pour moissonner. C’est plus joli en langue du pays d’oc : « can ploou sul rompan, ploou sul boulan ».
Avec ses « œufs de
Pâques » avril, qui compte dans ses rangs la fête de Pâques,
nous rappelle qu’il fut un temps, bien avant la mode du végétarisme ou du
véganisme, où pendant le Carême, la consommation des œufs, considérés comme
d’origine animale, était proscrite. C’est l’origine des œufs de Pâques en
chocolat et le populaire « lundi de l’Omelette » ou « lundi
de Pâques » où la coutume voulait qu’on se retrouve en un lieu
champêtre pour « faire l’omelette ».
Avec sa fête de Pâques
dont la date est déterminée selon un savant et long calcul qui veut¨Pâques soit
le premier dimanche qui suit la première Pleine Lune de printemps, avril
rappelle le grand passage du Peuple Hébreu à travers la Mer Rouge, fuyant
l’Egypte des Pharaons et l’esclavage. C’est à l’occasion de la célébration de
cette commémoration qu’eut lieu la mort et la Résurrection du Christ. Pâques
c’est la grande fête chrétienne de l’année liturgique et sa date qui varie,
conditionne les fêtes mobiles qui s’en suivent, tant attendues, car elles sont
l’occasion de Ponts et jours fériés, Pont de l’Ascension, lundi de Pentecôte.
Pâques peut donc avoir lieu entre
le 22 mars et le 25 avril au gré des aléas du mois lunaire qui étant plus court
que le mois solaire vadrouille entre ces dates.
A cette occasion les cloches de
nos églises carillonnent à tout va pour , dit-on, aller à Rome et revenir au
matin de Pâques chargées d’œufs en chocolats . Les gens d’Uzès pourront lire un
article sur « leurs » cloches dans un prochain numéro du journal
local « le Républicain d’Uzès »
La lunaison qui commence après
Pâques du 27 avril au 27 mai est appelée Lune Rousse . C’est pendant cette lunaison que se situent
les célèbres saints de glace que nos médias et services de météo s’obstinent à
oublier en ne retenant que les trois derniers qui il est vrai peuvent faire à
eux seuls un petit hiver : « Les saints Servais, Pancrace et
Mamert, font à eux trois un petit hiver »
Le monde paysan sait très bien
qu’il faut se méfier d’avril et de mai et d’ores et déjà faire des réserves
pour préserver autant que possible vignes et vergers des effets de cette Lune
Rousse. En ces périodes et malgré le soleil et les belles journées annoncées la
terre n’a pas encore emmagasiné suffisamment de chaleur pour compenser la
baisse des températures entre les jours et nuts. C’est alors que se produit ce
phénomène redouté et redoutable qui « roussit » les bourgeons
ou les frêles feuilles des arbres ou les fruits à peine fertilisés et c’est la
catastrophe dans les productions que l’on voudrait bien accessibles de plus en plus tôt, oubliant que c’est bien
mieux et bien plus agréable de consommer des « fruits de saison ».
C’est avril et la lune Rousse. On connait bien ce phénomène et on s’y
prépare. Il faut préciser que ce phénomène ne se produit que si le ciel est
parfaitement clair et dégagé.
A l’époque de Mamert, évêque de
Vienne dans la vallée du Rhône au Ve siècle, de pareilles chutes de
températures avaient anéanti la récolte des fruits. Le saint évêque avait alors
prescrit prières et processions. Ce sont les Rogations qui se déroulaient les
trois jours avant la fête de l’Ascension, au chant rythmé des litanies des
saints à travers champs. Protège Seigneur, les fruits que la terre nous donne.
On priait aussi pour être protégé de la famine et de la peste !
Comme l’invention du calendrier
est une chose récente, le seul moyen pour se souvenir du jour où l’on est,
était de se référer à la fête du saint du jour.
Ce sont pour avril les saints
de glace, d’abord les cavaliers, puis les derniers saints au mois de
mai. Ils s’échelonnent sur la longue période où peut se situer la lunaison de
la lune rousse qui sera cette année entre le 27 avril et le27 mai.
Ces phénomènes ne sont pas
nouveaux et ils se sont produits avec une telle fréquence que nos anciens en
ont écrit des dictons. De grâce ne disons pas que c’est du jamais vu !!
La Nouvelle Lune d’Avril a lieu
le 27, avec le passage au périgée, très près de notre terre avec un nœud
lunaire le 25. La conjonction de ces
trois indications n’est pas de bon augure. Elles sont précédées par la Saint
Georges le 23, le premier des Cavaliers du froid : « Saint Georges
arrive souvent sur un cheval blanc ». Il est suivi de saint marc la
25 : « Entre saint Georges et Marquet, un jour d’hiver se
met ». Viendront ensuite, Robert, Eutrope et puis Philippe le 1er
mai, réputés chacun autant que l’autre de saints « Gresleurs, geleurs
et gasteurs de bourgeons ». Rabelais, avant le réchauffement
climatique nous disait qu’ils étaient « casseurs de gobelet ». Les
autres saints de Glace Mamert Pancrace et Servais seront au mois de mai les
11,12 et 13. Nous ne serons vraiment
tranquilles que la saint Urbain, le 25, ou l’Ascension, soient 29, passées. « A
l’Ascension dernier frisson ».
Avril qui marquait donc bien le
début de l’année, et « ouvrait » l’année comme l’indique si
bien son nom, garde bien tout son sens de celui qui marque l’ouverture vers les
beaux jours, même s’il ne marque plus le début de l’année.
Rarement un mois, sorti du
contexte du calendrier, par édit royal, baptisé différemment que les autres
mois du calendrier, un mois qui arrive avec les fleurs et le soleil et qu’on
attend avec impatience parce qu’il annonce les beaux jours, aura marqué de son
empreinte le changement de temps tant attendu. l. Mais tout cela ne tient qu’à
un fil, fin et fragile comme celui de la soie. En bon cévenol je me dois de
rappeler cette « éducation des vers à soie » qui a tant marqué
nos Cévennes et qui commençait en ce mois d’avril. C’est désormais un conte de
Musée, qu’il est si beau de découvrir à la Maison Rouge de Saint Jean du Gard.
Avril comme nos vies ne tient
qu’à un fil ! Gardons-nous de toutes imprudences.
« Addisias »
Jean Mignot le 31 mars 2025