vendredi 23 décembre 2022

Minuit Chrétiens

 

 

Minuit Chrétiens, la «  Marseillaise religieuse », 

une création gardoise !

  

Parmi les nombreuses traditions et coutumes de Noël il y a ce beau chant sans lequel Noël ne serait pas Noël.

Composé par Placide Cappeau, habitant de Roquemaure, petite localité gardoise des bords du Rhône, on a longtemps dit que ce chant avait été écrit, en 1847, à la demande de l’abbé Eugène Nicolas Petitjean, curé du lieu, pour financer la restauration de son église. Or c’est le père Marie Joseph Gilles, en poste depuis 1820, qui avait entrepris de gros travaux de restauration de l’église, voûte maçonnée, renouvellement et rehaussement du pavé, modification de la porte d’entrée et suppression de deux voussures, puis en 1843, restauration de l’orgue.

C’est lui qui, pour financer ces travaux, aurait demandé à Placide Cappeau, dont il connaissait les talents, de composer un chant de Noël afin de célébrer dignement la restauration de l’orgue.

Il semble, selon mes sources qu’il faille remonter quelques années auparavant pour voir naître ce chant comme je vais essayer de l’expliquer.

Placide Cappeau lui-même dans son livre « le château de Roquemaure » donne peu de détails sur la création du célèbre cantique, tant est si bien que chacun a raconté l’histoire à sa façon. Or une récente découverte d’une abondante correspondance entre Placide Cappeau et son associé de Roquemaure, Guillaume Clerc qui devait devenir maire de cette ville de la vallée du Rhône remet en cause, au moins la date de la création de ce célèbre chant de Noël qui reste bien une création « gardoise ».

Placide Cappeau est né le 25 octobre 1808, à 8 heures du soir à Roquemaure dans le Gard. Il est le fils de Mathieu Cappeau, tonnelier et d'Agathe Louise Martinet. D'abord destiné à succéder à son père dans l'entreprise familiale (Exploitation de quelques vignes et d'une tonnellerie), il s'oriente vers les études à cause d’un stupide accident.

A l’âge de huit ans, jouant avec un de ses camarades dénommé Brignon, qui manipulait dit-on une arme à feu, le jeune Cappeau est blessé et doit être amputé de la main droite. Grâce à l'aide financière de Monsieur Brignon qui participe à moitié pour les frais de scolarité, Placide Cappeau, après avoir suivi l'école communale, entre au Collège Royal d'Avignon où malgré son infirmité il décroche un premier prix de dessin en 1825.

Après des études secondaires à Nîmes et un baccalauréat ès lettres en poche, il poursuit des études de droit à Paris et obtient une licence en 1831. Il s’associa plus tard avec Guillaume Clerc pour créer un négoce en vins et spiritueux.

Poète et écrivain à ses heures, il est l’auteur de plusieurs ouvrages tels : « Le château de Roquemaure », « La poésie », « Le papillon », « La rose » et publiée en 1877, un petit recueil intitulé «  Lou Réi de la Favo. Le roi de la Fève – fantaisie poétique provençal-français ».

Placide Cappeau pendant ses séjours à Paris, fréquentait les salons parisiens, sans doute grâce à la relation de voisinage qu’il avait pu établir avec la famille de l’ingénieur Laurey quand celui-ci venait à Roquemaure pour superviser la construction du pont sur le Rhône auquel il a donné son nom.

Or Madame Laurey était chanteuse d’opéra. Elle s’était illustrée en interprétant une des œuvres en trois actes d’Adolphe Adam : « La rose de Péronne ».

C’est sans doute elle qui introduisit Placide Cappeau dans un des salons des plus fréquentés de Paris, celui de la Comtesse Belgioso, une belle italienne réfugiée en France.  Tout le « Paris musical » se retrouvait dans ce salon, notamment Adolphe Adam dont l’épouse était l’amie de Madame Laurey.

C’est dans ce contexte que Placide Cappeau écrivit, sur la demande du curé de Roquemaure à l’époque, les vers de ce chant de Noël et c’est Madame Laurey qui proposa de demander à Adolphe Adam d’en écrire la musique.

Adolphe Adam était alors très en vogue et venait d’obtenir un grand succès avec son ballet « Gisèle ».

Placide Cappeau précise à Guillaume Clerc, dans une très longue lettre de sept pages, que son Noël fut chanté par Madame Laurey dans le salon de la Comtesse Belgioso, au cours d l’hiver 1844-1845. Il dit que dès ce moment-là la Comtesse Belgioso lui « témoigne un grand intérêt ».

C’est donc en forme d’« avant-première » que Minuit Chrétiens fut chanté pour la première fois à Paris dans un salon parisien et non d’abord à Roquemaure comme le dit la tradition gardoise.

Mais que les habitants et paroissiens de Roquemaure se rassurent, c’est bien à la Noël 1847 que Minuit Chrétiens fut exécuté en public pour la première fois en l’église du lieu.

Le curé « commanditaire » était entre temps décédé et c’est son successeur, le père Eugène Nicolas Petitjean, nommé à ce poste le 10 janvier 1847 qui permis cette concrétisation.

Emily Laurey, enceinte, n‘avait pas eu l’autorisation de venir plus tôt à Roquemaure.

Les historiens locaux mieux documentés que moi pourront confirmer ou infirmer cette version que je tiens moi, bien sûr, pour la véridique !  

En réalité on connaît très peu le contexte dans lequel ce chant aurait été composé et on en donne des explications des plus fantaisistes, chacun y allant de sa version prétendue authentique et très souvent fantaisiste. C’est aussi le charme des traditions de Noël !

Placide Cappeau était parti pour Paris depuis le 5 décembre 1847 et ce n’est pas pendant ce voyage, comme le dit une légende locale, qu’il fut inspiré pour écrire ce chant, Bourgogne et vin aidant !

Il avait jeté son dévolu sur la nièce de la comtesse mais il hésitait à mettre fin à son célibat et à s’engager car il ne voulait pas engager son avenir sur une incertitude liée au renouvellement de son contrat avec ses associés, contrat qui devait prendre fin en 1846.  Il attendit trop. Le parti lui échappa. Il devait décéder à Roquemaure le 8 août 1877 à 69 ans.

Très vite le célèbre baryton Jean-Baptiste Faure (Moulins 15 janvier 1830, Paris 9 novembre1914)  contribua à rendre célèbre ce chant de Noël.

A la veille du Second Empire, déjà en pleine montée des querelles anticléricales qui devaient aboutir à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, chanter « Minuit Chrétiens » était une sorte de provocation des milieux d’église contre les libres penseurs. C’est ce qui valut à ce chant d’être appelé « la Marseillaise religieuse ».

Qui plus est Placide Cappeau n’était pas du tout un homme d’église mais plutôt un libre penseur voltairien qui préférait au culte de Dieu celui de l’Humanité. Il voulut modifier les paroles des couplets qu’il avait écrits car le succès du chant faisait trop parler de lui. Il n’y parvint pas, dépassé par la célébrité si vite acquise par la version originale du chant.

En 1855, le ministre unitarien John Sullivan, rédacteur en chef du Dwight’s Journal of Misic en avait écrit une version anglaise. Cette version était devenue populaire aux Etats-Unis, en particulier dans le Nord, où le troisième couplet avait trouvé un écho auprès des abolitionistes.

Placide Cappeau tenta de contourner les questions nées autour de son premier texte, en composant un grand poème historique, en vingt chants, et au dixième chant, il introduisit un « cantique à l’orgue de Roquemaure », titre nouveau qu’il donnait à son « Minuit Chrétiens ».

Il ajouta le commentaire suivant : « Nous avons cru devoir modifier ce qui nous avait échappé au premier moment sur le péché originel, auquel nous ne croyons pas… Nous admettons Jésus comme rédempteur, mais rédempteur des inégalités, des injustices et de l’esclavage et des oppressions de toutes sortes… »

Aujourd’hui, ces lignes ne nous choquent plus et sont même d’une brûlante actualité ! peut-être même plus que les paroles de la version originale du fameux chant !

Le premier couplet avait été corrigé ainsi :  

Minuit Chrétiens, c’est l’heure solennelle

Où dans l’heureux Bethléem, vint au jour,

Le Messager de la Bonne Nouvelle,

Qui fit, des lois de sang, la loi d’amour.

C’était trop tard ! Le peuple en avait décidé autrement et les premières paroles écrites restèrent celles que nous connaissons encore aujourd’hui :

Minuit Chrétiens, C’est l’heure solennelle

Où l’Homme-Dieu descendit jusqu’à nous,

Pour effacer la tâche originelle

Et de son Père arrêter le courroux !

Nous notons souvent un certain agacement exprimé par certains prêtres et de façon générale par l’église catholique vis à vis de ce chant du « Minuit Chrétiens ». On peut juger ses paroles un peu déplacées dans le contexte d’aujourd’hui. La musique elle-même a une allure un peu martiale et il paraît même que ce serait Adolphe Adam qui aurait appelé son noël « la Marseillaise religieuse ».

Dès 1864, on trouve écrit ceci dans la revue de musique sacrée : « Le Noël d’Adolphe Adam a été chanté dans beaucoup d’églises à la messe de minuit… peut-être ferait-on bien de renoncer à ce morceau dont la popularité est devenue de mauvais aloi. On le chante dans les rues, dans les salons, dans les cafés-concerts. Il dégénère et ravale. Le mieux est de le laisser faire son chemin loin du temple, où l’on peut fort bien se passer de lui… ! »

Le jugement est sévère et semble laisser de côté tant d’autres cantiques de cette époque, ou même plus actuels, bien plus condamnables voire ridicules. Nous en connaissons tous quelques-uns que nous pourrions citer facilement. 

Fi de tout cela ! Ce chant a plu dès sa création. Après 175 ans il a toujours autant de succès. On le chante toujours dans les églises, souvent à la fin des veillées de Noël, juste avant la Messe de Minuit. Mais y-a-til encore des Messe de Minuit?

Pour le peuple des chrétiens de tous bords, Minuit Chrétiens reste un « morceau de bravoure » car la large gamme vocale en fait une des chansons de Noël des plus difficiles à exécuter. D’où son succès auprès des plus grands interprètes actuels. Dans nos campagnes il était traditionnellement chanté avant la messe de Minuit par de braves gens du peuple, qui parfois ne connaissaient même pas une seule note de musique. Cette exécution nous arrachait un intense moment d’émotion au cours de cette veillée sans laquelle Noël, sans ce chant, ne serait pas Noël.

Tout le monde tend l’oreille pour voir si le chanteur va bien s’en tirer et s’il va bien sortir les notes les plus hautes sur « les chefs de l’Orient » ou les plus basses sur « ceux qu’enchaînait le fer ».

Il faut dire en effet, que ce chant composé de trois couplets, (et non de deux, on l’oublie trop souvent !) doit être exécuté avec des nuances entre chaque couplet, ce qu’on ne retrouve pas dans les nombreuses interprétations actuelles, même de nos plus grands chanteurs.

Ce sont ces variantes qui donnent toute la dimension à l’œuvre en soulignant le sens des mots, par une mélodie adaptée. (Par exemple, c’est bien sur des notes très basses, comme si on descendait en enfer, qu’on chante les paroles : « ceux qu’enchaînait le fer »).

Si ce chant est exécuté, comme on l’entend trop souvent, avec seulement deux couplets, tous deux sur strictement la même mélodie, avec un rythme saccadé et soi-disant moderne, il devient quelque chose de plat, sans relief, et il perd tout son sens et son charme, devenant une œuvre qu’on « braille » à pleins poumons en faisant perdre à la composition de Cappeau et d’Adam tout son attrait.

J’invite donc ici tous ceux qui aiment « Minuit Chrétiens » à contribuer à retrouver la bonne partition musicale et à faire respecter la partition originale, de sorte que l’interprétation du « Minuit Chrétiens » retrouve ce qui a fait son succès d’autrefois et une bonne place dans nos églises, comme on s’est toujours attaché à le faire, dans mon village natal des Cévennes. Un des rares endroits où « Minuit Chrétiens » a longtemps était chanté dans le pur respect des traditions. J’en garde un précieux enregistrement, et je remercie ici, publiquement, sans les nommer, ceux qui en ont été les interprètes successifs.

La richesse de la tradition prend ici le dessus sur le message évangélique.

Quand on voit la façon dont Placide Cappeau lui-même expliquait ses convictions à propos de ce chant, lui le libre-penseur, on peut, sans avoir le moindre scrupule, l’écouter « religieusement », dans le cadre de cette fête de Noël.

Ce minuit de décembre, reste, qu’on le veuille ou non, une heure solennelle !

A Diou sias ! Bonnes Fêtes. Bon Noël 2022                                                      

Jean Mignot  24 Décembre 2022

 

Minuit ! Chrétiens, c’est l’heure solennelle
Où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous,
Pour effacer la tache originelle
Et de son père arrêter le courroux :
Le monde entier tressaille d’espérance
À cette nuit qui lui donne un sauveur
Peuple, à genoux attends ta délivrance,
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!

(Chœur)
Peuple, à genoux attends ta délivrance,
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!

De notre foi que la lumière ardente
Nous guide tous au berceau de l’enfant
Comme autrefois, une étoile brillante
Y conduisit les chefs de l’Orient
Le Roi des Rois naît dans une humble crèche,
Puissants du jour fiers de votre grandeur,
Ah! votre orgueil c’est de là qu’un Dieu prêche,
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!

(Chœur)
Ah! votre orgueil c’est de là qu’un Dieu prêche,
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!

Le Rédempteur a brisé toute entrave,
La terre est libre et le ciel est ouvert
Il voit un frère ou n’était qu’un esclave
L’amour unit ceux qu’enchaînait le fer,
Qui lui dira notre reconnaissance ?
C’est pour nous tous qu’il naît, qu’il souffre et meurt :
Peuple, debout! chante ta délivrance,
Noël! Noël! chantons le Rédempteur!
Noël! Noël! chantons le Rédempteur!

 

  Minuits 

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