Minuit Chrétiens, la « Marseillaise religieuse »,
une création gardoise !
Parmi
les nombreuses traditions et coutumes de Noël il y a ce beau chant sans lequel
Noël ne serait pas Noël.
Composé par Placide Cappeau, habitant de Roquemaure,
petite localité gardoise des bords du Rhône, on a longtemps dit que ce chant
avait été écrit, en 1847, à la demande de l’abbé Eugène
Nicolas Petitjean, curé du lieu, pour financer la restauration de son
église. Or c’est le père Marie Joseph Gilles, en poste depuis 1820, qui avait
entrepris de gros travaux de restauration de l’église, voûte maçonnée,
renouvellement et rehaussement du pavé, modification de la porte d’entrée et
suppression de deux voussures, puis en 1843, restauration de l’orgue.
C’est lui qui, pour financer ces travaux, aurait demandé
à Placide Cappeau, dont il connaissait les talents, de composer un chant de
Noël afin de célébrer dignement la restauration de l’orgue.
Il semble, selon mes sources qu’il faille remonter
quelques années auparavant pour voir naître ce chant comme je vais essayer de l’expliquer.
Placide Cappeau lui-même dans son livre « le château de Roquemaure » donne
peu de détails sur la création du célèbre cantique, tant est si bien que chacun
a raconté l’histoire à sa façon. Or une récente découverte d’une abondante
correspondance entre Placide Cappeau et son associé de Roquemaure, Guillaume
Clerc qui devait devenir maire de cette ville de la vallée du Rhône remet en
cause, au moins la date de la création de ce célèbre chant de Noël qui reste
bien une création « gardoise ».
Placide Cappeau est né le 25 octobre 1808,
à 8 heures du soir à Roquemaure dans le Gard. Il est le fils de Mathieu Cappeau,
tonnelier et d'Agathe Louise Martinet. D'abord destiné à succéder à son père
dans l'entreprise familiale (Exploitation de quelques vignes et d'une
tonnellerie), il s'oriente vers les études à cause d’un stupide accident.
A l’âge de huit ans, jouant avec un de ses camarades
dénommé Brignon, qui manipulait dit-on une arme à feu, le jeune Cappeau est blessé
et doit être amputé de la main droite. Grâce à l'aide financière de Monsieur
Brignon qui participe à moitié pour les frais de scolarité, Placide Cappeau,
après avoir suivi l'école communale, entre au Collège Royal d'Avignon où malgré
son infirmité il décroche un premier prix de dessin en 1825.
Après des études secondaires à Nîmes et un baccalauréat
ès lettres en poche, il poursuit des études de droit à Paris et obtient une licence
en 1831. Il s’associa plus tard avec Guillaume Clerc pour créer un négoce en
vins et spiritueux.
Poète et écrivain à ses heures, il est l’auteur de
plusieurs ouvrages tels : « Le château de Roquemaure », « La
poésie », « Le papillon », « La rose » et publiée en 1877, un petit
recueil intitulé « Lou Réi de la Favo. Le roi de la Fève – fantaisie poétique
provençal-français ».
Placide Cappeau pendant ses séjours à Paris, fréquentait
les salons parisiens, sans doute grâce à la relation de voisinage qu’il avait pu
établir avec la famille de l’ingénieur Laurey quand celui-ci venait à
Roquemaure pour superviser la construction du pont sur le Rhône auquel il a
donné son nom.
Or Madame Laurey était chanteuse d’opéra. Elle s’était
illustrée en interprétant une des œuvres en trois actes d’Adolphe Adam : «
La rose de Péronne ».
C’est sans doute elle qui introduisit Placide
Cappeau dans un des salons des plus fréquentés de Paris, celui de la Comtesse
Belgioso, une belle italienne réfugiée en France. Tout le « Paris musical » se
retrouvait dans ce salon, notamment Adolphe Adam dont l’épouse était l’amie de
Madame Laurey.
C’est dans ce contexte que Placide Cappeau écrivit, sur
la demande du curé de Roquemaure à l’époque, les vers de ce chant de Noël et c’est
Madame Laurey qui proposa de demander à Adolphe Adam d’en écrire la musique.
Adolphe Adam était alors très en vogue et venait d’obtenir
un grand succès avec son ballet « Gisèle ».
Placide Cappeau précise à Guillaume Clerc, dans une
très longue lettre de sept pages, que son Noël fut chanté par Madame Laurey
dans le salon de la Comtesse Belgioso, au cours d l’hiver 1844-1845. Il dit que
dès ce moment-là la Comtesse Belgioso lui « témoigne un grand intérêt ».
C’est donc en forme d’« avant-première » que
Minuit Chrétiens fut chanté pour la première fois à Paris dans un salon parisien
et non d’abord à Roquemaure comme le dit la tradition gardoise.
Mais que les habitants et paroissiens de Roquemaure
se rassurent, c’est bien à la Noël 1847 que Minuit Chrétiens fut exécuté en
public pour la première fois en l’église du lieu.
Le curé « commanditaire » était entre
temps décédé et c’est son successeur, le père Eugène Nicolas Petitjean, nommé à
ce poste le 10 janvier 1847 qui permis cette concrétisation.
Emily Laurey, enceinte, n‘avait pas eu l’autorisation
de venir plus tôt à Roquemaure.
Les historiens locaux mieux documentés que moi pourront
confirmer ou infirmer cette version que je tiens moi, bien sûr, pour la
véridique !
En réalité on connaît très peu le contexte dans
lequel ce chant aurait été composé et on en donne des explications des plus
fantaisistes, chacun y allant de sa version prétendue authentique et très
souvent fantaisiste. C’est aussi le charme des traditions de Noël !
Placide Cappeau était parti pour Paris depuis le 5
décembre 1847 et ce n’est pas pendant ce voyage, comme le dit une légende
locale, qu’il fut inspiré pour écrire ce chant, Bourgogne et vin aidant !
Il avait jeté son dévolu sur la nièce de la comtesse
mais il hésitait à mettre fin à son célibat et à s’engager car il ne voulait
pas engager son avenir sur une incertitude liée au renouvellement de son
contrat avec ses associés, contrat qui devait prendre fin en 1846. Il attendit trop. Le parti lui échappa. Il
devait décéder à Roquemaure le 8 août 1877 à 69 ans.
Très
vite le célèbre baryton Jean-Baptiste Faure (Moulins 15 janvier 1830, Paris 9 novembre1914)
contribua à rendre célèbre ce chant de Noël.
A
la veille du Second Empire, déjà en pleine montée des querelles anticléricales
qui devaient aboutir à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, chanter « Minuit
Chrétiens » était une sorte de provocation des milieux d’église
contre les libres penseurs. C’est ce qui valut à ce chant d’être appelé « la
Marseillaise religieuse ».
Qui plus est Placide Cappeau n’était pas du tout un
homme d’église mais plutôt un libre penseur voltairien qui préférait au culte
de Dieu celui de l’Humanité. Il voulut modifier les paroles des couplets qu’il
avait écrits car le succès du chant faisait trop parler de lui. Il n’y parvint
pas, dépassé par la célébrité si vite acquise par la version originale du
chant.
En 1855, le ministre unitarien John Sullivan,
rédacteur en chef du Dwight’s Journal of Misic en avait écrit une version anglaise.
Cette version était devenue populaire aux Etats-Unis, en particulier dans le
Nord, où le troisième couplet avait trouvé un écho auprès des abolitionistes.
Placide Cappeau tenta de contourner les questions
nées autour de son premier texte, en composant un grand poème historique, en
vingt chants, et au dixième chant, il introduisit un « cantique à
l’orgue de Roquemaure », titre nouveau qu’il donnait à son « Minuit
Chrétiens ».
Il ajouta le commentaire suivant : « Nous avons cru devoir modifier ce qui nous
avait échappé au premier moment sur le péché originel, auquel nous ne croyons
pas… Nous admettons Jésus comme rédempteur, mais rédempteur des inégalités, des
injustices et de l’esclavage et des oppressions de toutes sortes… »
Aujourd’hui, ces lignes ne nous choquent plus et
sont même d’une brûlante actualité ! peut-être même plus que les paroles
de la version originale du fameux chant !
Le premier couplet avait été corrigé ainsi :
Minuit Chrétiens, c’est l’heure solennelle
Où dans
l’heureux Bethléem, vint au jour,
Le Messager de
la Bonne Nouvelle,
Qui fit, des
lois de sang, la loi d’amour.
C’était
trop tard ! Le peuple en avait décidé autrement et les premières paroles écrites
restèrent celles que nous connaissons encore aujourd’hui :
Minuit
Chrétiens, C’est l’heure solennelle
Où
l’Homme-Dieu descendit jusqu’à nous,
Pour effacer
la tâche originelle
Et de son Père
arrêter le courroux !
Nous notons souvent un certain agacement exprimé par certains prêtres et de façon générale par l’église catholique vis à vis de ce chant du « Minuit Chrétiens ». On peut juger ses paroles un peu déplacées dans le contexte d’aujourd’hui. La musique elle-même a une allure un peu martiale et il paraît même que ce serait Adolphe Adam qui aurait appelé son noël « la Marseillaise religieuse ».
Dès 1864, on trouve écrit ceci dans la revue de musique
sacrée : « Le Noël d’Adolphe Adam a
été chanté dans beaucoup d’églises à la messe de minuit… peut-être ferait-on
bien de renoncer à ce morceau dont la popularité est devenue de mauvais aloi.
On le chante dans les rues, dans les salons, dans les cafés-concerts. Il
dégénère et ravale. Le mieux est de le laisser faire son chemin loin du temple,
où l’on peut fort bien se passer de lui… ! »
Le jugement est sévère et semble laisser de côté
tant d’autres cantiques de cette époque, ou même plus actuels, bien plus
condamnables voire ridicules. Nous en connaissons tous quelques-uns que nous
pourrions citer facilement.
Fi de tout cela ! Ce chant a plu dès sa
création. Après 175 ans il a toujours autant de succès. On le chante toujours
dans les églises, souvent à la fin des veillées de Noël, juste avant la Messe de
Minuit. Mais y-a-til encore des Messe de Minuit?
Pour le peuple des chrétiens de tous bords, Minuit Chrétiens
reste un « morceau de bravoure » car la large gamme vocale en
fait une des chansons de Noël des plus difficiles à exécuter. D’où son succès
auprès des plus grands interprètes actuels. Dans nos campagnes il était traditionnellement
chanté avant la messe de Minuit par de braves gens du peuple, qui parfois ne
connaissaient même pas une seule note de musique. Cette exécution nous arrachait
un intense moment d’émotion au cours de cette veillée sans laquelle Noël, sans
ce chant, ne serait pas Noël.
Tout le monde tend l’oreille pour voir si le
chanteur va bien s’en tirer et s’il va bien sortir les notes les plus hautes
sur « les chefs de l’Orient »
ou les plus basses sur « ceux qu’enchaînait
le fer ».
Il faut dire en effet, que ce chant composé de trois
couplets, (et non de deux, on l’oublie trop souvent !) doit être exécuté
avec des nuances entre chaque couplet, ce qu’on ne retrouve pas dans les nombreuses
interprétations actuelles, même de nos plus grands chanteurs.
Ce sont ces variantes qui donnent toute la dimension
à l’œuvre en soulignant le sens des mots, par une mélodie adaptée. (Par
exemple, c’est bien sur des notes très basses, comme si on descendait en enfer,
qu’on chante les paroles : « ceux
qu’enchaînait le fer »).
Si
ce chant est exécuté, comme on l’entend trop souvent, avec seulement deux
couplets, tous deux sur strictement la même mélodie, avec un rythme saccadé et soi-disant
moderne, il devient quelque chose de plat, sans relief, et il perd tout son
sens et son charme, devenant une œuvre qu’on « braille » à pleins
poumons en faisant perdre à la composition de Cappeau et d’Adam tout son
attrait.
J’invite donc ici tous ceux qui aiment « Minuit
Chrétiens » à contribuer à retrouver la bonne partition musicale
et à faire respecter la partition originale, de sorte que l’interprétation du
« Minuit Chrétiens » retrouve ce qui a fait son succès
d’autrefois et une bonne place dans nos églises, comme on s’est toujours
attaché à le faire, dans mon village natal des Cévennes. Un des rares endroits
où « Minuit Chrétiens » a longtemps était chanté dans le pur
respect des traditions. J’en garde un précieux enregistrement, et je remercie
ici, publiquement, sans les nommer, ceux qui en ont été les interprètes successifs.
La richesse de la tradition prend ici le dessus sur
le message évangélique.
Quand on voit la façon dont Placide Cappeau lui-même
expliquait ses convictions à propos de ce chant, lui le libre-penseur, on peut,
sans avoir le moindre scrupule, l’écouter « religieusement », dans le
cadre de cette fête de Noël.
Ce minuit de décembre, reste, qu’on le veuille ou
non, une heure solennelle !
A Diou sias ! Bonnes Fêtes. Bon Noël 2022
Jean Mignot 24 Décembre 2022
Minuit ! Chrétiens, c’est
l’heure solennelle
Où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous,
Pour effacer la tache originelle
Et de son père arrêter le courroux :
Le monde entier tressaille d’espérance
À cette nuit qui lui donne un sauveur
Peuple, à genoux attends ta délivrance,
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!
(Chœur)
Peuple, à genoux attends ta délivrance,
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!
Noël! Noël! Voici le Rédempteur!
De notre foi que la lumière
ardente
Nous guide tous au berceau de l’enfant
Comme autrefois, une étoile brillante
Y conduisit les chefs de l’Orient
Le Roi des Rois naît dans une humble crèche,
Puissants du jour fiers de votre grandeur,
Ah! votre orgueil c’est de là qu’un Dieu prêche,
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!
(Chœur)
Ah! votre orgueil c’est de là qu’un Dieu prêche,
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!
Courbez vos fronts devant le Rédempteur!
Le Rédempteur a brisé toute
entrave,
La terre est libre et le ciel est ouvert
Il voit un frère ou n’était qu’un esclave
L’amour unit ceux qu’enchaînait le fer,
Qui lui dira notre reconnaissance ?
C’est pour nous tous qu’il naît, qu’il souffre et meurt :
Peuple, debout! chante ta délivrance,
Noël! Noël! chantons le Rédempteur!
Noël! Noël! chantons le Rédempteur!
Minuits
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